Splendide et limpide, splendide parce que limpide, l’ouvrage que les éditions de Imprimerie nationale réservent aux couvertures de livres tient lieu d’odyssée et d’anthologie, rappelant que, parfois, en matière d’édition, le flacon vaut l’ivresse.
Un livre sur le livre, sur les livres. Depuis plusieurs années, l’édition se distingue, avec succès, par une inflation d’ouvrages autour de la typographie (Histoire visuelle des fontes et styles graphiques, 1628-1938, Taschen, 2017), du graphisme (Histoire du graphisme avant la modernité en trois temps, cinq mouvements, Franciscopolis, 2018), du papier (Papiers dominotés français, Éditions des cendres, 2013) et de la lecture (Éloge du livre, Hazan, 2018), consacrant un métalangage susceptible de dire la complexité d’un domaine malmené par des contraintes économiques de plus en plus sévères. Cette publication élabore une histoire de l’édition qui, depuis son essor au XIXe siècle jusqu’à nos jours, hisse la couverture de livre en miroir sans tain du réel, révèle les représentations d’un monde de papier où le prestige le dispute à la vanité. Que dit une couverture ? Que peut une couverture ? Comment frustrer pour enflammer le désir ? Comment entrebâiller la porte pour attiser la curiosité ? Autant de questions que le feuilletage de cette anthologie savante permet de soulever…
De format presque carré (21 x 24 cm), ce livre broché méritait une belle couverture. C’est chose faite avec la splendide jaquette translucide, pareille à du papier calque, qui vient enserrer l’ouvrage et, en quelque sorte, le compléter. Tandis que la première de couverture accueille littéralement à parts égales la mention de l’auteure (Clémence Imbert, universitaire spécialiste du graphisme) et celle de l’éditeur, les lettres formant le titre de la publication sont comme tronquées : il faut, pour en rétablir l’intégrité, ajuster parfaitement la jaquette, sur laquelle figurent les segments manquants du titre, ainsi que la seconde partie de la note d’intention du livre, amorcée sur la quatrième de couverture. Cette subtilité gigogne, imaginée par Anne-Laure Exbrayat, n’est pas une pure affèterie : par une mise en abyme, elle permet de dire d’emblée le rôle et l’inventivité des couvertures, lesquelles peuvent s’effeuiller et se caresser à l’envi. Quand l’objet vient parfaitement exhausser le sujet. Rare.
L’ouvrage se déploie simplement, en six sections que précède une introduction très claire, déjouant d’emblée les attentes déçues : « Nous présentons par avance nos excuses aux lecteurs, et en particulier parmi eux aux éditeurs, aux typographes et aux graphistes, aux amoureux des livres en tous genres, qui ne retrouveraient pas dans ces pages les couvertures qui leur sont chères. » Et comment faire grief à une étude qui, bien qu’elle ambitionne de dessiner une histoire docte de la couverture, ne saurait prétendre à l’exhaustivité, sauf à noyer sa démonstration dans le nombre ? Pour ce faire, Clémence Imbert articule sa démonstration en six séquences. La première, « Vers la couverture moderne », rappelle l’importance physique de ce revêtement valant parure mais aussi protection, comme la porte d’un baptistère. Reliures, cartonnages, dos : avec un soin de l’exemple jamais pris en défaut, l’auteure fouille tous les enjeux sociologiques, esthétiques et techniques de la couverture au fil des années et, remarquablement, selon les pays (France, Grande-Bretagne, Allemagne ou Italie). Tandis que la deuxième section atteste l’inventivité déployée à l’endroit du titre – tantôt sobre, comme pour la prestigieuse collection « Blanche » de Gallimard, tantôt byzantin, comme chez les futuristes ou les constructivistes –, la troisième partie assigne les couvertures illustrées et, notamment, les paperbacks américains, quand des images sensationnelles, et presque tautologiques, réveillent la paresse rétinienne d’un œil qu’endorment sinon la multitude et la tiédeur.
Longtemps répudiée pour sa littéralité, la couverture photographique connaît un âge d’or dans les années 1920-1930, bientôt relayée par la poésie du collage, introduisant une exogamie dans un domaine austère qui plébiscite la pureté et la sobriété. La cinquième section analyse le rôle métonymique de la couverture qui, devenue la charte identificatoire d’une collection, notamment pour les formats poche (« Penguin Books », « Centopagine » chez Einaudi ou « Folio » chez Gallimard), sacre bientôt les iconographes, capables de concevoir de splendides images trahissant un « retour de l’objet livre ». Sixième et dernière séquence, donc. L’érudition de l’ouvrage n’est jamais intimidante : les textes didactiques sont étayés par de nombreuses images rendant justice à la qualité physique des livres, ainsi que par des encadrés consacrés à des enjeux spécifiques, les dos comme les étiquettes. Cette élégance et cette générosité voient l’auteure réchauffer l’œil et l’esprit sans jamais tirer à elle la… couverture.
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Les couvertures de livres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : Les couvertures de livres