Peter Zumthor livre pour la première fois ses réflexions en français.
Dire l’architecture est un exercice difficile. Peu le font, moins encore le font bien. Le discret architecte helvète Peter Zumthor, 64 ans, est de ceux-là. Intitulé Penser l’architecture, son recueil de textes écrits entre 1988 et 2004 en allemand avait jadis été traduit en anglais, mais jamais en français. C’est chose faite avec ce petit ouvrage, genre Petit Livre rouge. Sauf que celui-ci n’est pas rouge mais bleu, comme la ligne bleue des… Grisons, ces montagnes suisses qui sont l’horizon de Zumthor depuis toujours ou presque. Dès 1968 en effet, il y exerça auprès des monuments historiques du canton des Grisons, puis y a ouvert, en 1979, sa propre agence à Haldenstein.
L’émotion et l’inspiration
L’auteur de la très belle chapelle de Sogn Benedetg à Sumvitg (Suisse), des non moins fameux bains thermaux de Vals (Suisse) ou du tout nouveau Musée d’art Kolumba, à Cologne (Allemagne) parle d’architecture sans verbiage, avec des mots simples. Des mots qui appréhendent l’architecture par les sensations, non par la géométrie ; par la vie, non par l’image. « Je crois à l’exactitude du regard, à la part de vérité que contient la perception sensorielle, au-delà des opinions ou des idées abstraites », avance Zumthor. Pour s’approcher d’elle au plus près, il dit l’architecture comme il dirait un livre, un film, une pièce musicale ou une œuvre d’art. Ces lignes sont passionnantes. On sait par exemple l’affection extrême de Zumthor pour la texture et les matériaux. Lui explique avoir regardé les travaux de Joseph Beuys et des artistes de l’Arte povera : « Ce qui m’impressionne, c’est la mise en œuvre précise et sensuelle des matériaux dans ces travaux. Elle paraît s’ancrer dans des savoirs anciens sur l’usage fait par l’homme de la matière mais, en même temps, mettre au jour l’essence même du matériau, qui est libre de toute signification héritée d’une culture ». Autre exemple : pour parler de la complémentarité entre chaque élément d’un bâtiment et sa globalité, Zumthor évoque Jean-Sébastien Bach. « Le plus impressionnant dans [sa] musique est son “architecture’’, souligne-t-il. Sa construction paraît claire et transparente. Il est possible de suivre le détail des éléments mélodiques, harmoniques et rythmiques de sa musique sans perdre le sens de la composition de l’ensemble, qui seule donne leur raison d’être aux détails. » L’équation est on ne peut plus limpide. Et néanmoins ardue : « Concevoir un projet, c’est en grande partie comprendre et ordonner, estime Zumthor. Mais je pense que c’est l’émotion et l’inspiration qui donnent naissance à la substance fondatrice propre de l’architecture. » Le ton n’est jamais donneur de leçons.
L’architecte tente simplement de disséquer le processus de création : « John Cage expliquait, dans une conférence, qu’il n’est pas un compositeur qui entend la musique dans sa tête puis essaie de la retranscrire. Sa manière de travailler est différente. Il conçoit des esquisses et des structures et les fait interpréter, faisant ainsi seulement ensuite l’expérience de leur sonorité. En lisant cela, je me suis souvenu d’un récent projet de notre atelier pour des bains thermaux en montagne. Nous ne sommes pas partis d’une image mentale que nous aurions ensuite adaptée aux conditions du projet, mais avons essayé de répondre à des questions de fond concernant le lieu, l’ouvrage à bâtir et les matériaux – la montagne, la roche, l’eau –, et qui dans un premier temps n’était pas représentation imagée. Ensuite seulement sont apparus des structures et des volumes qui nous ont surpris nous-mêmes et que je crois animés du potentiel d’une force élémentaire qui va au-delà d’un arrangement de formes stylistiquement prédéfinies. » Bref, rien n’est écrit d’avance et Peter Zumthor n’est définitivement pas un architecte de l’image, plutôt un architecte de l’intériorité. Une intériorité qu’il aimerait aussi sensible que celle du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki : « J’admire la sympathie et le respect dont le cinéaste fait preuve envers ses personnages. Il n’a rien d’un directeur tenant ses acteurs en laisse pour leur faire représenter une certaine conception ; il met plutôt les acteurs en image, fait ressortir leur dignité, le mystère de leur personnalité. L’art de Kaurismäki donne à ses films une expression de chaleur. Pouvoir construire des maisons comme Kaurismäki tourne ses films, ça, ce serait beau. » On n’en doute pas un instant.
Ed. Birkhaüser, Bâle, 2008, 96 pages, 16 ill., 29,90 euros, ISBN 978-3-7643-8453-1.
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Le sentiment de l’architecture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°269 du 16 novembre 2007, avec le titre suivant : Le sentiment de l’architecture