Enseignant l’histoire de l’art et la théorie des médias à la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe, professeur invité à Columbia University et au Collège de France, Hans Belting explore les statuts de l’“œuvre” et du “chef-d’œuvre” aux XIXe et XXe siècles pour écrire une nouvelle histoire de l’art moderne, Le Chef-d’œuvre invisible. Paru en 1998 en Allemagne, l’ouvrage est aujourd’hui édité chez Jacqueline Chambon, qui a déjà publié son célèbre L’Histoire de l’art est-elle finie ?
L’œuvre de Balzac Le Chef-d’œuvre inconnu (1831) raconte l’histoire du peintre Frenhofer qui travaille depuis de nombreuses années sur l’œuvre de sa vie. Passionnément, l’artiste en parle à ses amis sans jamais leur montrer l’objet. Le jour où, enfin, il se décide à dévoiler son tableau, les spectateurs sont affligés : la toile ne représente rien. À force de la repeindre sans cesse, cherchant désespérément à atteindre la perfection, l’œuvre de Frenhofer est au final invisible. Inspiré de ce récit, le Chef-d’œuvre invisible d’Hans Belting, paru en 1998 en Allemagne et aujourd’hui aux éditions Jacqueline Chambon, se veut une “histoire conceptuelle de l’art moderne”. Une histoire qui commence vers 1800, à l’époque où naissent le romantisme et le musée public, pour s’achever au début des années 1960. Belting y explore le statut de l’œuvre et plus particulièrement du “chef-d’œuvre”, terme qui implique la quête d’un art idéal et absolu, donc inaccessible. À partir du XIXe siècle, peintres, sculpteurs et artistes vont se heurter à ce “rêve d’art”. Rejetant les “mythes” du passé (comme Mona Lisa), cherchant à se libérer de la dictature du musée qui fait de l’art un objet de culte, les artistes se mettent en quête d’un idéal artistique “sans objet”. Les avant-gardes se succèdent alors frénétiquement. Depuis Ingres jusqu’à l’art vidéo, en passant par Gauguin, Picasso, l’abstraction, Duchamp, les premiers happenings, le minimalisme ou Fluxus, Belting nous offre une autre histoire de l’art.
Une part importante de son ouvrage est consacrée aux nouvelles formes de création : la performance, l’installation vidéo et l’art conceptuel. Par ces médiums, les artistes contemporains tentent, à leur tour, de se libérer des contraintes qui avaient soumis leurs prédécesseurs avant-gardistes à la “tyrannie de l’œuvre unique et convaincante”. Il s’agit d’un art délivré des canons de l’œuvre créée pour le marché, les musées ou autres espaces d’exposition. Le Chef-d’œuvre invisible a suscité une importante polémique en Allemagne : on lui a notamment reproché de déprécier l’art moderne, de le présenter comme un échec. Mais l’auteur s’en défend : “Il ne s’agit pas, en effet, de porter un jugement sur des questions de qualité ou d’évaluation. Mon but est plutôt d’attirer l’attention sur l’inquiétude constante et si caractéristique de la créativité artistique moderne, qui a poussé celle-ci à adopter un rythme si effréné […]. Ce qui m’intéresse ici, c’est plutôt cet idéal d’un art absolu qui poussa sans cesse la production artistique vers l’avant, mais lui échappa également sans cesse.”
Hans Belting, Le Chef-d’œuvre invisible, collection “Rayon Art”, éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 2003, 613 p., 35 euros. ISBN 2-87711-218-7.
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Le monde selon Belting
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Le monde selon Belting