Michel Wlassikoff en offre la première étude historique, de Gutenberg à nos jours.
C’est une véritable somme que ce pavé épais et carré, intitulé Histoire du graphisme en France. Les plus fins limiers de l’art typographique auront d’ailleurs immédiatement reconnu la police – famille de lettres de même forme – utilisée pour le titre de couverture : le caractère Olive, imaginé, en 1958, par Roger Excoffon pour la ligne graphique d’Air France. Reconnu dans nombre de pays – Grande-Bretagne, États-Unis, Pays-Bas… – comme un domaine de création majeur, le graphisme manquait en France d’un ouvrage de référence. Le voici. À travers lui, son auteur, Michel Wlassikoff, remet (enfin) les pendules à l’heure, et retrace avec une minutie et une évidente passion l’aventure du graphisme « français » ou plus exactement du graphisme né sur le sol français. Wlassikoff remonte le temps – cinq siècles, depuis l’invention de la typographie par Gutenberg jusqu’à nos jours – et explore aussi bien les liens entre le graphisme et les grands courants esthétiques, français ou internationaux, que les relations, plus ou moins tumultueuses, avec d’autres domaines tels le design, l’urbanisme ou les arts plastiques. Résultat, neuf chapitres pertinents : « Prédominance de la langue et de la typographie françaises (1500-1880) » ; « De l’Art nouveau aux avant-gardes (1880-1925) » ; « Des Arts décoratifs à l’Union des artistes modernes (1925-1930) » ; « La Fondation du graphisme moderne (1930-1940) » ; « De l’Occupation à l’Alliance graphique internationale (1940-1955) » ; « L’apport suisse et le début des images de marque (1955-1965) » ; « De la contestation à la conception d’un nouvel environnement (1965-1975) » ; « Grands travaux et entrée en scène du numérique (1975-1994) » ; enfin, « L’extension du domaine du graphisme (1995-2005) ».
Affiche de théâtre, couverture de magazine, bande dessinée, édition, presse quotidienne, logotype d’institution, catalogue d’exposition, le graphisme a infiltré et servi moult domaines. Pas étonnant donc si ce télescopage de documents offre de délicieux face-à-face. L’auteur revendique d’ailleurs le droit de « confronter des choses qui habituellement ne se confrontent pas », comme des affiches de Mai 68 avec celles du Centre de création industrielle du Centre Pompidou, créées par Jean Widmer entre 1969 et 1975 : « Toutes deux fonctionnent selon une association de formes et de couleurs fondamentales », explique Wlassikoff. On peut sinon s’amuser soi-même à mettre en regard création ancienne et création actuelle, comme cet Alphabet en deux feuilles réunies d’Honoré Daumier (vers 1846) rapporté à The Alphabet (2001) et The Alphamen (2003), police de caractères créée par les graphistes Mathias Augustyniak et Michaël Amzalag (M/M) à partir de photographies originales d’Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, où des corps humains dessinent les lettres.
Industrie musicale
Au fil des pages s’étalent des trésors : un Alphabet des signaux de route (vers 1902), le caractère Bifur, mis en page par Cassandre et édité par la fonderie Deberny & Peignot (1929), des publicités à la sauce pop pour la Citroën Ami 6 (Agence Delpire, 1960-1965), d’amusants catalogues promotionnels de la firme Éclair (1935), ou encore, un « surréaliste » album Électricités réalisé par Man Ray pour la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (1931). Grand avantage du format (26 x 29 cm) : pouvoir déployer sur une double page quantité d’images pour une meilleure compréhension d’un projet, voire de ses déclinaisons diverses. Ainsi, lorsqu’il s’agit de montrer l’incroyable « encyclopédie » de Grandville (1843), « mélange des divagations de son temps et des siennes propres », pas moins de quatorze « planches » s’étalent sous nos yeux. Idem pour présenter, in situ, un affichage mural pour la marque Saint-Raphaël (Atelier Loupot), dans une rue à Paris, en 1953 : deux pleines pages.
Aujourd’hui, les creusets du renouvellement du graphisme sont, à l’évidence, l’industrie musicale, à travers pochettes de disques et affiches de concert (Laurent Fétis, Yves Méry, Laurent Séroussi, Rik Bas Baker…) et l’habillage télévisuel. On pense notamment à la refonte complète de l’identité de Canal , opérée en 1995 par Étienne Robial. Comme quoi le graphisme se révèle être un vecteur fondamental de la communication. Au fait, qui sait que, sur les maillots du Real de Madrid, les noms de Zidane, Ronaldo ou Beckham sont inscrits en caractères Peignot ? Michel Wlassikoff en tout cas.
MICHEL WLASSIKOFF, HISTOIRE DU GRAPHISME EN FRANCE, éd. Carré & Les Arts décoratifs, 2005, 324 pages, 900 illustrations en couleur, 59 euros, ISBN 2-901422-64-0.
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Le graphisme « made in France »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Le graphisme « made in France »