Biopic - La Renaissance pue. Dans les rues d’Italie, on patauge dans la fange parmi les ordures et les chiens errants.
De ce cloaque jaillit l’apesanteur de Michel-Ange. Le nouveau film d’Andreï Konchalovsky se concentre sur quelques années seulement de la vie de l’artiste. Michel-Ange vient de terminer la chapelle Sixtine (1512). Il est déchiré entre son projet du tombeau de Jules II et la façade de Saint-Laurent à Florence, qu’il n’achèvera jamais. Son talent est également l’un des enjeux d’une guerre de palais qui oppose les Della Rovere et les Médicis. Reconnu, admiré, il subit la rivalité de Raphaël, artiste plus séduisant et diplomate qui sait, mieux que lui, flatter ses mécènes.
C’est dans ce contexte que l’artiste écartelé va affronter « le monstre » : un gigantesque bloc de marbre arraché aux carrières de Carrare, puis descendu à flanc de montagne au prix d’efforts surhumains et de sacrifices. Le monstre est pratiquement le second héros du film. Masse luisante dans la lumière crépusculaire, il écrase tout ce qui l’entoure. Les carriers, tailleurs et bœufs chargés de son transport deviennent eux-mêmes, sous l’œil du cinéaste, des sculptures magnifiques, corps aux muscles saillants taillés au burin. Konchalovsky filme l’artiste, fourmi minuscule face à sa matière première, les bras tendus sur la pierre, tel un Sisyphe poussant son rocher. Tandis que les hommes se débattent, le monstre se repose. Immense, tranquille dans la lueur opale du clair de lune.
Andreï Konchalovsky, 83 ans, a débuté en écrivant les scénarios de Tarkovski dont Andreï Roublev, une autre histoire d’artiste. Devenu metteur en scène, il a connu le joug des censeurs soviétiques. Réalisé en 1967, Le Bonheur d’Assia n’est sorti que vingt ans plus tard. Passé à l’Ouest, il a connu le succès avec Maria’s Lover (1984) ou Runaway Train (1985), avant de subir la machinerie des studios d’Hollywood et de réaliser, pour survivre, Tango et Cash (1989), un nanar avec Sylvester Stallone. Entre-temps, Konchalovsy s’est marié cinq fois, a divorcé quatre fois et a eu cinq enfants. Le monstre de marbre serait alors l’image du combat de la vie même, de ce mur de contraintes, financières ou politiques, qui se dresse entre un artiste et son art. Autant qu’un biopic, Michel-Ange est un autoportrait. Parfois, lorsqu’il parle de lui, le sculpteur marmonne : « Je suis un vieux monstre. »
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L’artiste et le monstre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : L’artiste et Le monstre