Avec « Cézanne et moi », en salle le 21 septembre, la réalisatrice sort du registre comique sans pour autant s’éloigner du cinéma grand public.
Votre répertoire est plutôt tourné vers la comédie. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce film ?
Il y a une quinzaine d’années, j’ai découvert dans un magazine que Paul Cézanne et Émile Zola se connaissaient depuis l’enfance et qu’ils s’étaient fâchés. Mon ignorance sur ce point m’a troublée. Puis, je me suis rendu compte que le XIXe siècle, c’était ce méli-mélo de connaissances dans ma tête. Le train, la Commune, les impressionnistes… Je ne pouvais donc pas m’atteler à la rédaction d’un scénario avant de creuser ce contexte. D’ordinaire, je crée mes personnages sur une page totalement vierge. Là, je devais me plonger au préalable dans l’univers de ces deux hommes.
Comment vous êtes vous documentée ? Avez-vous rencontré des descendants de Zola, de Cézanne ?
Hormis Martine Leblond-Zola, qui nous a laissés tourner dans le jardin de son arrière-grand-père, à Médan, j’ai évité de rencontrer quiconque, afin de préserver ma liberté d’auteur. Je ne voulais pas être influencée par autre chose que mes lectures, ni avoir des comptes à rendre aux proches et spécialistes de ces deux icônes. Je tenais à me fabriquer mon propre point de vue. Le grand pari pour moi, c’était de faire d’un sujet aussi pointu un film populaire. D’où le besoin de laisser libre cours à mon imagination.
Quelle est la part de vérité et de fiction dans le film ? L’ultime tête-à-tête entre les deux hommes, point de départ de l’action, a-t-il vraiment eu lieu ?
Cette dernière rencontre de 1888, je l’ai complètement inventée. Puis, coup de théâtre : à Aix, en plein repérage, j’apprends l’existence d’une lettre postérieure à leur rupture présumée, en 1886. Dans cette lettre, datée de 1887, Cézanne conclut : « Je vais venir te voir ». Je suis alors parcourue d’un frisson, car j’ai inventé une scène qui s’est peut-être réellement produite.
L’Œuvre serait à l’origine de leur brouille. Zola y décrit un peintre raté auquel Cézanne se serait identifié. Comment expliquez-vous que l’écrivain soit passé à côté du génie de son meilleur ami ?
Parce que c’était son meilleur ami, justement. On juge plus sévèrement les gens que l’on aime. Ensuite, il est tombé amoureux des impressionnistes, avant de les renier vers la fin de sa vie. Enfin, Zola cesse de fréquenter Cézanne au moment où ce dernier trouve enfin sa voie. Je ne pense pas qu’il ait vu ces toiles tardives qui me font personnellement frissonner.
Auriez-vous pu écrire ce scénario sans les aimer, tous les deux ?
Oui, car ce n’est pas un film sur la peinture, ou la littérature, mais sur les hommes et leur difficulté à préserver leurs amitiés d’enfance. Autre thème fondateur, la liberté des artistes, amenés à violer et voler la vie des autres pour créer. Les auteurs, moi la première, sont des gens sans foi ni loi. Je n’avais pas besoin de les aimer, mais je les aime quand même. Il y a chez Zola une sensualité et une violence qui me bouleversent. Quant à Cézanne, n’en parlons pas. Ou plutôt si, parlons-en ! C’est un phénomène extraordinaire, parce qu’il va chercher toute sa vie quelque chose qu’il va finir par trouver. L’a-t-il su ? S’en est-il aperçu ? Quand il écrit qu’il souhaite « peindre la violence des rochers », il annonce déjà l’abstraction. Il avait une belle plume. C’est lui, à l’origine, qui voulait devenir poète ; et Zola, peintre. L’un, né dans la richesse, s’est marginalisé avec le temps ; l’autre, parti de rien, a fini par s’embourgeoiser.
Les rôles s’inversent constamment, jusque dans le casting. Vous pensiez confier celui de Zola à Guillaume Gallienne, avant de contacter Guillaume Canet… Comment le premier s’est-il approprié le personnage du peintre ?
Après avoir lu le scénario, Guillaume Gallienne m’a appelée pour me dire qu’il préférait interpréter Cézanne. Son désir m’intriguait, quoiqu’il soit compréhensible : les acteurs français ont rarement l’occasion de jouer des rôles de composition. Si le maquillage et les costumes l’ont aidé à se glisser dans le personnage, je lui ai aussi présenté Gérard Traquandi, un artiste que j’adore, fou de Cézanne. Pendant six mois, il a appris à Guillaume une gestuelle… et surtout ce regard des peintres, tourné davantage vers le sujet que l’objet.
C’est ce même artiste qui a réalisé les copies dans le film ?
Nous avons sollicité plusieurs spécialistes pour ce faire. On ne copie pas un chef-d’œuvre fini comme une peinture en devenir. Le Déjeuner sur l’herbe, c’était « facile ». Le vrai défi, c’était de reproduire des toiles en cours de réalisation. Je pense au Portrait de Vollard. Il existe, mais je le voulais inachevé dans le cadre d’une séance de pose. Il y a aussi deux ou trois toiles imaginées. Le portrait d’Alexandrine (la femme de Zola, ndlr), par exemple, que Cézanne aurait détruit. Et le nu de Madame Cézanne. Parce qu’on la voit généralement vêtue de bleu en peinture, il aura fallu, pour les besoins du film, s’inspirer d’un tableau de Degas.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Danièle Thompson : « Ce n’est pas un film sur la peinture »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €
Légendes Photos :
- Affiche du film « Cézanne et moi »
- Danièle Thompson et Guillaume Gallienne sur le tournage de « Cézanne et moi » © Photo Luc Roux
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°463 du 16 septembre 2016, avec le titre suivant : Danièle Thompson : « Ce n’est pas un film sur la peinture »