Cinéma - Qui, dans une exposition, compare les tableaux d’un artiste pour savoir lequel est le meilleur ? Les films à sketches, eux, souffrent presque tous de cette malédiction : les segments entrent en compétition les uns avec les autres et la séance laisse des vaincus.
Voyez par exemple The French Dispatch. Le nouveau long-métrage de Wes Anderson raconte l’histoire d’un journal américain édité dans la ville française d’Ennui-sur-Blasé. Anderson déroule quatre histoires arrachées à la feuille de chou. L’une retrace le trajet d’un reporter cycliste. Une autre suit Mai 68 à travers le regard d’une journaliste rodée. Quant à l’expert de la rubrique gastronomique, il se retrouve plongé au cœur d’une enquête policière. Aucun de ces trois actes n’éclipse la conférence de l’éminente critique d’art JKL Berensen, campée par une Tilda Swinton déchaînée – reconnaissez-y qui vous voulez parmi les signatures de L’Œil.
L’experte décrit la vie et l’œuvre de Moses Rosenthaler (Benicio Del Toro), peintre de génie qui purgeait une peine de prison pour un double meurtre. Dans les murs qui l’enferment, il s’est trouvé pour muse Simone (Léa Seydoux), une jolie geôlière ultra-autoritaire. Artisan de son succès, le galeriste Julian Cadazio (Adrien Brody), lui-même incarcéré pour évasion fiscale, lui commande une œuvre pour une exposition très attendue. Cependant, on ne dicte pas à Rosenthaler ce qu’il a à peindre !
On peut voir ce bref film comme une réflexion amusée sur l’art : Moses est-il un génie ou un phénomène de foire qui ne doit sa gloire qu’à son statut de psychopathe ? Simone pose pour lui, nue, or il peint des toiles abstraites et non des portraits. Ses œuvres, larges taches noires, n’inspirent rien de particulier. Et si Rosenthaler n’était pas un fou génial, mais un fou tout court qui barbouille des toiles ? On lira surtout là une mise en abyme de l’auteur lui-même.
Anderson est, sinon un peintre, du moins un illustrateur. The French Dispatch, par sa plastique, rend hommage aux célèbres couvertures du New Yorker. Ses films (The Grand Budapest Hotel, Moonrise Kingdom, À bord du Darjeeling Limited…), même tournés en extérieur, paraissent conçus en studio. Ainsi, depuis ses débuts, l’excentrique Texan bricole un cinéma de maisons de poupées. Si attachant soit-il, son art évolue peu. Ses obsessions se répètent. À travers Rosenthaler, peut-être nous raconte-t-il, à sa façon, que tout artiste construit sa propre prison.
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L’artiste en prison
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : L’artiste en prison