Cinéma

L’artiste de la famille

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 520 mots

Cinéma -  Chaque famille a son « artiste ». Celui de la famille Asada ne parvient pas à suivre l’exemple de ses frères.

Il n’affiche pas d’objectif précis ou d’ambition particulière. On le regarde avec tendresse ou consternation. On s’inquiète pour son avenir. Cependant, avec un peu de chance, parfois, il trouve sa vocation et devient un véritable artiste. Voici l’histoire de Masashi Asada. À l’âge de 12 ans, il hérite d’un appareil photo. Suite à un concours de circonstances rocambolesques, il se retrouve avec son frère et son père aux urgences de l’hôpital où travaille sa mère infirmière. Le petit Masashi en profite pour prendre une photo de famille incongrue. Ici commence un long travail. Au fil des années, il fait poser ses proches dans des décors extravagants, où chaque membre de sa famille se rêve une autre vie. Sur les clichés de Masashi, le père devient pompier, le grand frère travaille pour une écurie de course automobile et la mère rejoint un gang de yakuzas. Après des années d’errance et d’hésitations, ses drôles d’images rencontrent enfin le succès. Masashi gagne désormais sa vie en photographiant d’autres familles que la sienne. Puis, en 2011, un tremblement de terre ravage la région de Tōhoku. Face au deuil des familles, le photographe se découvre une nouvelle vocation. Né en 1979, Masashi Asada existe vraiment et La Famille Asada s’inspire de son destin. Autant qu’un biopic, le film de Ryôta Nakano propose une réflexion à la fois joyeuse et mélancolique sur la photographie. Mis en scène dans des couleurs chatoyantes mais sans ostentation, ce projet est néanmoins traversé, discrètement, par un courant plus sombre. Le héros lui-même hésitera longtemps entre la création et l’autodestruction. Les pimpantes images de Masashi Asada sont d’abord accueillies dans l’indifférence. « Ce n’est qu’un album de famille », lui lance un éditeur méprisant. Puis ces clichés font rire. Enfin, après la mort brutale des sujets qu’elles ont figés, les photos deviennent émouvantes. L’artiste, comme s’il devançait le destin tragique de toute image confrontée à l’épreuve du temps, s’éloigne de sa famille après l’avoir photographiée, sans pour autant cesser de l’aimer. Lui-même ne fondera pas de famille. Se contentant de mettre en scène celle des autres, il n’enfantera qu’une œuvre photographique. Autant que cadrer et éclairer ses sujets, Masashi Asada aime surtout les réunir, le temps d’une séance photo devenue un rendez-vous rituel ou un simple jeu. Par sa nature même, ce film éveille des souvenirs. Dans les années 1980, il était de bon ton de rire des touristes japonais qui passaient la majeure partie de leurs voyages derrière leur appareil photo. On les jugeait incongrus, voire parfaitement grotesques. Pourtant, au siècle suivant, tout le monde s’est mis à suivre leur exemple. Tout le monde s’est mis à tout photographier, dans une insatiable boulimie d’images. Peut-être qu’aucune époque ne nous a confrontés plus violement à l’éphémère de toute chose. Or, « pour combler une perte, nous n’avons que nos souvenirs, dit la voix off de La Famille Asada. Et ce qui rend ces souvenirs palpables, ce sont les photos. Plus qu’une trace du passé, elles nous donnent parfois la force de vivre le présent. »

À savoir
Une exposition des photos de Masashi Asada accompagne la sortie du film. Elle sera en place au mk2 Bibliothèque jusqu’au 30 janvier 2023 et dans certaines salles de France. Le livre qui a inspiré le film devrait être réédité pour l’occasion.
À voir
« La Famille Asada » de Ryôta Nakano avec Kazunari Ninomiya, Satoshi Tsumabuki, Haru Kuroki, 2 h 07 min.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : L’artiste de la famille

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