La somme de Serge Fauchereau sur l’art lituanien, letton et estonien pendant la cinquantaine d’années avant l’époque soviétique met bien en évidence une effervescence artistique plurielle.
Livre d’art. Depuis l’exposition « Âmes sauvages » (Musée d’Orsay, 2018) qui a mis en lumière la beauté, l’originalité et la diversité des œuvres produites dans la région baltique entre 1890 et 1918, les artistes du romantisme national sont mieux connus. Il manquait cependant une publication qui présente l’art de ces pays dans un temps plus long allant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Dans son introduction, Serge Fauchereau survole l’histoire complexe de la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. Les provinces nordiques ont été violemment christianisées et germanisées au XIIIe siècle, devenant plus tard luthériennes. S’il a existé un puissant royaume de Lituanie, il s’est dissous au XVIe siècle dans une grande Pologne catholique. Il faut aussi noter que la langue estonienne est finno-ougrienne alors que les deux autres sont indo-européennes. Les pays baltes n’apparaissent finalement comme un ensemble qu’à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsqu’ils gagnent leur indépendance après l’effondrement de l’Empire russe.
Cette présentation historique est nécessaire pour comprendre qu’il n’y a pas de culture commune ancienne, même si une profonde quête d’identité apparaît partout au XIXe siècle dans ces régions où les langues nationales, longtemps interdites, n’ont pu être conservées qu’en relation avec la littérature et les arts populaires. La chanson traditionnelle était l’un des seuls moyens de ne pas oublier la langue maternelle pour ces populations vivant sous occupation.
L’autre héritage commun à ces trois pays est le cosmopolitisme. Lorsqu’ils étaient de langue dominante allemande, les artistes partaient faire leurs études à Berlin, Munich ou Dresde. Ceux qui parlaient plutôt le russe choisissaient Saint-Pétersbourg ou Moscou. Beaucoup sont passés par les ateliers parisiens. La plupart, même installés à l’étranger, ont gardé des liens forts avec leur terre d’origine où ils ont fondé des mouvements, des revues et organisé des expositions. L’art balte a donc été en permanence irrigué par l’art international sans perdre sa singularité. Les limites chronologiques de l’ouvrage (de 1890 à la fin des années 1930) s’expliquent par le fait que l’art national apparaît dans ces régions avec la prise de conscience d’une identité propre, à la fin du XIXe siècle, et qu’il se dissout largement dans le réalisme soviétique à partir de l’annexion à l’URSS. Les trois pays ne sont redevenus indépendants qu’en 1991 mais l’art contemporain, florissant, n’est pas traité ici.
Le début de la période, pour chaque pays, est dominé par les artistes symbolistes et du romantisme national vus dans « Âmes sauvages ». Pour la Lituanie, Mikalojus Konstantinas Ciurlionis [voir ill.], Ferdynand Ruscicas et Antanas Zmuidzinavicius occupent une large place et la carrière de Petras Kalpokas est abordée. La Lettonie brille avec Janis Rozentals, Vilhelms Purvitis, Rudolfs Perle et Johans Valters, et l’Estonie avec Kristjan Raud et Oskar Kallis. Ce dernier et Aleksander Promet illustrent l’attachement de leur pays aux épopées et contes nationaux dans lesquels ils ont puisé leur inspiration. Plusieurs pages sont consacrées au Letton Jazeps Grosvalds qui, après trois ans passés à Paris, est revenu à Riga au moment de la Première Guerre mondiale et a rendu compte de la vie du peuple, extrêmement éprouvé, dans un style proche d’André Derain. Serge Fauchereau évoque également, de manière connexe, l’architecture Art nouveau, si importante à Riga, les arts graphiques à travers les revues d’avant-garde et survole la céramique lettone des années 1920, pays dont les arts appliqués sont particulièrement féconds.
La sculpture prend plus de place à la période suivante avec une mention de Jaan Koort pour l’Estonie, Petras Rimsa pour la Lituanie, ancien élève d’Antonin Mercié à Paris comme Rimsa, et une école très active en Lettonie, celle des cubistes formés en Russie : Karlis Zale, Marta Skulme et Teodors Zalkalns. Le sculpteur lituanien formé à Paris, Juozas Mikenas, s’y fit remarquer au pavillon des pays baltes de l’Exposition universelle de 1937. Ces années précédant la Seconde Guerre mondiale sont fastes pour les trois petits États. Le Lituanien Stasys Usinskas développe un très beau style Art déco tandis qu’Antanas Gudaitis s’inspire d’André Lhote et des artistes de l’école de Paris et qu’Antanas Samuolis, formé en Russie, pratique un expressionnisme personnel et attachant. À Riga, Aleksandra Belcova et Erasts Sveics adoptent un cubisme élégant que l’on trouve également chez l’Estonien Felix Randel, tandis que son compatriote, Konrad Mäji, d’abord néo-impressionniste, se tourne vers le cézanisme.
Les dernières années d’indépendance se caractérisent par un retour à la figuration qui donne de belles œuvres en Lettonie avec Janis Plase et Aleksandra Belcova et, en Estonie, Karin Luts. Une grande place est enfin consacrée à deux artistes singuliers, le Letton Karlis Padegs, peintre provoquant de La Madone à la mitrailleuse (1932) et la photographe lituanienne Domicele Tarabildiene travaillant, pendant ses années fastes, dans la veine de Man Ray ou de Claude Cahun.
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L’art balte, international et singulier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : L’art balte, international et singulier