Qui est cet homme dégainant son épée face au spectre de son épouse défunte surgissant d’une lanterne de nuit, cette femme à la peau diaphane semblable à un souffle glacé ? À travers un ouvrage superbement illustré de 150 estampes signées des plus grands maîtres japonais – Hokusai, Hiroshige, Kuniyoshi, Kyõsai, Utamaro ou encore Yoshitoshi –, Philippe Charlier, anthropologue et médecin légiste, livre les secrets de ces fantômes qui, depuis le XVIIe siècle, hantent et inspirent l’art japonais jusqu’aux mangas d’aujourd’hui.
Leur histoire, prévient l’ancien directeur du département de la recherche et l’enseignement du Musée du quai Branly, est toujours la même : celle d’une femme dont l’amour a été trompé ou inassouvi, poussée à la mort, abandonnée, assassinée ou privée de sépulture. C’est pourtant avec délectation que l’on découvre les légendes de chacune d’entre elles, sous la plume d’un érudit qui se révèle aussi un conteur hors pair, donnant vie et chair à ces âmes en peine : fantômes appelés yurei, ou monstres surnaturels, yokai. Ainsi Ubume, fantôme d’une femme jeune et belle morte en couches, au kimono déchiré couvert de sang, courant les cheveux défaits avec dans les bras un nouveau-né qu’elle dépose à proximité des cimetières ou confie à des passants qui découvrent dans les langes une pierre ou un paquet de feuilles… lorsqu’elle n’essaie pas, dans d’autres légendes, d’arracher un nourrisson des bras de sa mère ou de quémander un câlin à un enfant isolé. Ainsi encore Yuki-Onna, femme abandonnée en plein hiver dans le blizzard ou assassinée par son mari en rase nature, ou, selon les traditions, esprit de la montagne qui se transforme en tempête glacée si l’on s’approche d’elle – elle laissa pourtant la vie à un jeune homme qui s’était épris d’elle, en raison de son jeune âge et de sa beauté. La délicatesse de la reliure japonaise de l’ouvrage et de son papier accroît encore le douloureux et cruel plaisir à tourner les pages de cet envoûtant recueil d’estampes et d’histoires d’amour et de mort.
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La vie rêvée des fantômes japonais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : La vie rêvée des fantômes japonais