Lorsque l’on pense aux spoliations, on imagine presque automatiquement un tableau, de préférence moderne et signé d’un glorieux artiste conspué par les régimes totalitaires.
Or, la peinture ne représente qu’un fragment de ce continent englouti qui agglomère œuvres d’art, objets, monnaies, archives et des kilomètres linéaires de livres. C’est ainsi par l’entremise d’un manuscrit qu’Emmanuelle Favier nous entraîne dans le tourbillon de l’histoire des pillages en temps de guerre. Et pas n’importe quel livre, puisqu’il s’agit de quelques pages noircies, dissimulées dans une petite boîte en bois de palissandre, accompagnées d’un kopeck porte-bonheur, par Sophie Rostopchine. Les amoureux de la littérature enfantine l’ignorent certainement, mais la fameuse comtesse de Ségur était en réalité née en Russie, et son père, Fiodor, était même le gouverneur général de Moscou. Un officier tristement entré dans l’histoire pour avoir incendié la ville lors de la campagne de Russie, afin qu’elle ne tombe pas aux mains de l’Empereur. Cette politique de la terre brûlée le mènera d’ailleurs à sa perte et poussera sa famille à l’exil. C’est au cours de ce voyage forcé que la jeune fille aurait rédigé son journal. Le point de départ de ce roman-fleuve est en effet imaginaire. L’auteure invente ce manuscrit, qui est une sorte de palimpseste de tous les objets volés, détruits ou perdus au fil des siècles et au gré des guerres et des déplacements de population. Sa trajectoire est une parabole de la folie destructrice et de l’avidité des hommes au cours des deux cents dernières années. Elle tisse aussi un récit parallèle et salvateur de celles et ceux qui œuvrent à la protection des œuvres, veillent à leur transmission et traquent les voleurs. Roman choral qui entrelace malicieusement le destin de héros discrets autant que de grands personnages totémiques, ce livre se dévore d’une traite. Une grande saga portée par une langue voluptueuse et enlevée, qui n’est pas sans rappeler la patte de Marguerite Yourcenar.
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La Part des cendres
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : La Part des cendres