Proche de la Lituanie par sa langue d’origine indo-européenne, et de l’Estonie par sa religion luthérienne, la Lettonie occupe au sein des trois Pays baltes une place particulière. Alors que cet État prépare, pour 2004, son adhésion à l’Union européenne, Le Journal des Arts vous propose de découvrir la richesse de son patrimoine et de ses musées, notamment à Riga, sa capitale. Centre de la vie politique, intellectuelle et culturelle du pays, la ville recèle un incroyable ensemble d’immeubles de style Art nouveau.
Située aux confins des mondes germanique et slave, avec l’Estonie au nord et la Lituanie au sud, la Lettonie occupe une place stratégique sur les côtes de la Baltique. Ses puissants voisins (Prusse, Suède, Pologne, Russie, Allemagne) l’ont, tour à tour, asservie afin de s’assurer cette voie de communication exceptionnelle. La Lettonie a connu, de 1920 à 1940, quelques années de liberté, suivies de cinquante ans d’occupation soviétique. Ce n’est qu’en 1991, peu après l’effondrement de l’URSS, qu’elle a pu recouvrer son indépendance. Le patrimoine letton porte l’empreinte de ces longues périodes d’occupation et de souffrance, mais aussi de l’effervescence intellectuelle et culturelle que connut le pays au cours des XIXe et XXe siècles. Aujourd’hui, le pays compte près de deux cents musées, dont un tiers se trouve à Riga, la capitale. Malgré une situation économique difficile, la politique culturelle est relativement active. Bien qu’il existe au sein du ministère de la Culture une “Fondation pour la culture”, destinée à soutenir les institutions muséales ou des projets indépendants (expositions, festivals…), les musées doivent surtout compter sur les recettes des entrées, et plus de 90 % des acquisitions proviennent de donations privées. Une situation d’autant plus délicate que, depuis la fin du régime soviétique, le nombre des visiteurs a vertigineusement chuté : les musées accueillent actuellement 1,5 million de visiteurs par an (contre 4 millions avant les années 1990), et seuls 7 % d’entre eux sont étrangers. Garants de la culture et de l’histoire lettones, les musées jouent un rôle primordial dans un pays qui compte, sur une population de 2,4 millions d’habitants, 44 % de russophones (les Russes installés sous le régime soviétique, ainsi que quelques Biélorusses, Ukrainiens, Polonais). Les musées permettent d’entretenir la mémoire collective, affirmant par là même l’identité du peuple letton. C’est le cas du Musée de l’Occupation, à Riga, qui relate les périodes d’occupation nazie (1941-1944) puis soviétique, jusqu’à l’indépendance de 1991. Installée dans un bâtiment austère, sa collection associe, selon une scénographie très dynamique, panneaux pédagogiques, documents officiels, photographies, lettres manuscrites, cartes géographiques, journaux d’époque, films… et la reconstitution d’une cabane de goulag.
Plus confus, mais non moins passionnant, le Musée d’histoire – le plus ancien des Pays baltes puisque créé à Riga en 1773 – renferme une collection très éclectique, des témoignages historiques ou personnels, des costumes, dessins ou objets d’art décoratif. À la périphérie de la capitale, le Musée ethnographique rassemble en plein air, dans un vaste parc, plus de cent édifices de bois qui retracent les modes de vie lettons à travers les siècles. Le Musée des beaux-arts de Riga est, pour sa part, consacré à la peinture russe et lettonne, avec des œuvres de Janis Rozental (1866-1916), l’un des plus grands artistes lettons.
Du style versaillais à l’Art nouveau
En 1997, Riga a été inscrite au patrimoine mondial de l’humanité pour sa vieille ville mais aussi pour son quartier Art nouveau, bâti en quelques décennies, au tournant des XIXe et XXe siècles. Formés pour la plupart au Polytechnicum de Riga, les architectes lettons s’inspirèrent surtout de l’urbanisme germanique ou finlandais. Ils furent d’une productivité étonnante : Konstantin Peksens (1859-1928) compte 250 bâtiments à son actif et Janis Alksnis (1869-1939), pas moins de 130. Mikail Eisenstein (le père du célèbre cinéaste soviétique) a conçu la majeure partie des immeubles de la rue Alberta, typique du Jugendstil (équivalent de l’Art nouveau en Allemagne), avec ses décors foisonnant de végétation luxuriante, de femmes offertes, animaux, chimères et autres fantasmes d’une époque révolue. Variante de ce style, le “Jugendstil rationaliste” prend en compte la disposition intérieure des appartements, ajoutant aux immeubles des balcons et tours d’angle afin de les rendre plus lumineux et spacieux. Vers 1907-1908 apparaît le “Jugendstil vertical”, où domine la verticalité. Il s’agit du style le plus répandu à Riga.
Mais la capitale lettone n’a pas le monopole des trésors patrimoniaux. Au sud du pays se dresse le majestueux palais Rundale, œuvre de l’architecte Rastrelli (1700-1771), réalisé pour le comte Ernest Johann Biron, duc de Kurzeme (1690-1772). Ouvert aux visiteurs depuis 1981, l’édifice est d’une rare beauté, avec son architecture monumentale et symétrique qui n’est pas sans rappeler Versailles, et le faste de ses nombreuses et vastes pièces qui s’enchaînent à l’italienne, telle la salle des cérémonies décorée dans le style rococo ou la chambre à coucher, au centre du château, entièrement tapissée de soie verte. Le palais a survécu aux aléas de l’histoire grâce à son directeur, Imants Lancmanis, en poste depuis trente-neuf ans. Celui-ci a dû composer avec le régime soviétique et a réussi, alors que le marché de l’art n’existait pas officiellement, à remeubler le palais (entièrement dépouillé après les lois sur la collectivisation). À Moscou, Leningrad ou Riga, Lancmanis a retrouvé le mobilier disparu ou lui a substitué des pièces similaires. Le château accueille aujourd’hui 89 000 visiteurs par an et consacre l’essentiel de ses revenus aux travaux de restauration. Patiemment, la petite équipe du musée restaure chaque élément du somptueux palais, des fresques aux parquets, en passant par les nombreuses moulures qui habillent les murs et plafonds. Alliant la science à l’esthétique, les méthodes développées à Rundale pourraient faire école dans tout le pays.
Élément essentiel de son identité, le patrimoine letton devrait permettre au pays d’attirer, dans les années à venir, davantage d’investisseurs et de visiteurs. Même si une partie de la population reste sceptique, la Lettonie compte notamment sur l’adhésion européenne, prévue en 2004, pour rééquilibrer une situation aujourd’hui difficile.
- À lire : Suzanne Champonnois et Françoisde Labriolle, La Lettonie, éditions Karthala, Paris, 1999, 346 p., 22,87 euros. - Riga, Tallinn, Vilnius, capitales baltes, les guides Autrement, éditions 1999-2000, 452 p., 22 euros.
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La Lettonie, d’est en ouest
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : La Lettonie, d’est en ouest