Peintre magnifique de l’ombre (et de la lumière), Caravage étonne, fascine, séduit quatre siècles après sa mort, survenue dans des circonstances mystérieuses, une mort pleine de bruit et de fureur, à l’image de sa vie de mauvais garçon, une mort solitaire et violente sur une plage de Toscane en juillet 1610, une mort qui s’apparente irrésistiblement à celle de Pier Paolo Pasolini dans un terrain vague de Rome. Malgré tout, ce n’est pas nécessairement cette fin – qu’on peut imaginer suicide, mise à mort fraternelle, vengeance de brigand – qui a inspiré à Dominique Fernandez ce livre rythmé et soutenu jusqu’à l’essoufflement final. L’œuvre de l’artiste suffirait à fasciner n’importe quel observateur et l’on s’étonne presque qu’il n’ait jamais été l’inspirateur d’un roman. Le jeune garçon qui fit ses classes dans l’atelier milanais de Simone Peterzano, arriva à vingt ans, en 1591, à Rome où son premier protecteur sera le Cardinal del Monte. À compter de ce moment Michelangelo Merisi, dit Caravage, va inventer une peinture qui bouleversera l’académisme.
La vitalité des sujets qu’il représente l’éloigne du maniérisme auquel il emprunte pourtant sa ligne tendue, ses contours nets. La peinture directe à partir de modèles vivants, le choix des tons gris qui mettent en valeur la force du sujet, la perception très ciselée des effets de lumière et d’ombre introduisent un nouveau langage dans la peinture. Surtout, le choix des sujets réalistes fait une entrée forte et singulière : le dramatique envahit les objets quotidiens qui deviennent les vrais protagonistes de la toile, partageant la scène avec des enfants du peuple. La Madeleine repentie est une femme du peuple, le Repos pendant la fuite en Égypte devient un moment de vie profane. L’ombre est partout, chez les aristocrates comme dans le peuple. La solitude aussi. En exergue de son livre, Dominique Fernandez a choisi d’inscrire Jean de la Croix : « Découvre ta présence, que ton aspect et ta beauté me tuent. »
Dominique Fernandez, La Course à l’abîme, éd. Grasset, Paris, 2002, 638 p., 22 euros.
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La course à l’abîme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°545 du 1 mars 2003, avec le titre suivant : La course à l’abîme