Julie Rouart est directrice de collection pour l’art moderne et contemporain, chez Flammarion, acteur majeur et depuis longtemps du beau livre en France. Dans son bureau, entre trois piles de manuscrits et deux rendez-vous, elle partage volontiers, avec verve, son expérience déjà longue d’éditrice spécialisée.
Vous avez commencé à faire des livres dès le début des années 1990. Quelles évolutions de la profession votre itinéraire vous a-t-il permis de suivre ?
J’ai travaillé dans des structures de dimensions différentes, chez Adam Biro par exemple, avec cet avantage propres aux petites maisons que l’on y suit toutes les étapes du livre. Les techniques et les outils, avec la chaîne numérique, le CTP (computer to plate, pour passer directement de l’ordinateur aux plaques d’impression) ont permis de gagner, finalement, plutôt en qualité qu’en temps de travail. Les techniques de production sont un aspect important qui m’intéresse. L’impression, les panachages de papier sont plus simples, mais le façonnage, lui, reste mécanique. Pour l’impression des titres du catalogue beaux-arts de Flammarion, nous travaillons essentiellement avec l’Europe, plus rarement en France plus chère de 20 à 30 % bien souvent.
Précisément, quels livres de texte, essais, collections didactiques, font partie du catalogue de Flammarion ?
Pour ce qui concerne mon secteur, il s’agit, avec la collection « Écrire l’art », surtout d’essais et d’écrits d’artistes, y compris des rééditions de titre du fonds, comme le Duchamp du signe, récemment augmenté. Un titre nouveau comme L’art au large de Jean-Hubert Martin représente un tirage de 2 000 exemplaires, et nous avons dépassé largement le point mort, vers 1 200 exemplaires. Avec les traductions – une version en chinois est en cours de publication, d’autres se précisent –, les essais trouvent leur équilibre, bien sûr sur une toute petite économie, mais qui nourrit un catalogue de fonds. Ce que l’on désigne parfois comme des long sellers (ventes à long terme NDLR) !
Comment décide-t-on des parutions chez Flammarion ?
Chaque responsable éditorial a une grande autonomie de propositions, sur un principe d’équilibre de chaque titre. Les catalogues d’exposition en partenariat avec de grandes institutions sont importants, mais si le lien à l’événement de l’exposition est essentiel, ils ne représentent qu’une petite partie de la production, qui compte une quarantaine de livres par an, menée par une petite équipe de sept personnes pour le département beaux-arts, à laquelle s’ajoute bien sûr tout un réseau d’indépendants, relecteurs, graphistes… Nous avons une réunion mensuelle pour parler des projets, du fonds, des contacts avec les institutions, de l’actualité. Par exemple, avec l’anniversaire Le Corbusier, nous rééditons les textes de notre fonds, et je propose un titre qui évoquerait l’influence de l’architecte sur les artistes, les graphistes. Une partie du travail consiste à ce que chaque projet trouve son équilibre économique. Les paramètres sont multiples, différents pour les catalogues liés à un événement. Nous sommes astreints à l’équilibre titre par titre, avec un délai de rentabilité de douze mois, plutôt que cinq auparavant. Les exigences se sont resserrées depuis la reprise par Madrigal. Pour la collection des monographies sur les contemporains, l’aide publique du Centre national des arts plastiques permet de proposer à 40 euros un volume qui en coûterait 60 euros sans elle. L’aide publique, 5 000 ou 7 000 euros du Centre national du livre par exemple pour un titre, est décisive. C’est le cas aussi pour les collections « savoir ». La baisse des montants de ces aides, environ 20 %, demande d’autres recherches de partenaires, vers le privé. Les galeries en particulier, qui font des pré-achats, mais aussi des institutions.
Le rachat en 2012 de Flammarion par Madrigal, le groupe de Gallimard, a-t-il marqué un changement de politique éditoriale, ou de la place des beaux-arts ?
À ce jour, pas du tout. Antoine Gallimard encourageait, il y a peu dans un courrier interne, l’identité propre des entités du groupe, avec cependant plus d’exigence de rentabilité. Flammarion demeure un catalogue sans concurrence au sein du groupe, avec une place importante pour le livre illustré ; à l’intérieur du segment beaux-arts, l’art contemporain représente un tiers, en termes de titres sinon de vente. Quant au lectorat réel, au travers par exemple des bibliothèques, il est plus que difficile à chiffrer, mais je garde le contact avec les lecteurs, de manière sans doute un peu moins directe que dans une petite maison, mais c’est important, bien sûr. Nous avons un fonctionnement nécessairement différent des petites maisons, ne serait-ce que parce que nos tirages sont structurellement plus importants, 2 000-2 500 exemplaires sont notre plancher de tirage de diffusion. Nous ne faisons pas tout à fait le même métier, mais nous sommes complémentaires. Sur un marché très étroit, les choses se partagent assez naturellement, comme vis-à-vis de l’édition savante ou universitaire. Je regarde beaucoup ce qui se fait, et il est vrai que chez nous, le secteur « savoir » souffre beaucoup. Je garde pourtant le souci des auteurs, mais dans une grande maison généraliste comme la nôtre, les choix doivent rester ouverts, et divers.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Julie Rouart : « L’aide publique est décisive pour un titre »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Julie Rouart : « L’aide publique est décisive pour un titre »