Depuis 1979, les Éditions du Regard explorent les champs de la création au xxe siècle : arts décoratifs, architecture, beaux-arts, mode… Entretien avec leur créateur, l’écrivain José Alvarez.
L’œil : Quelle est la situation de l’édition des livres d’art en 1979 lorsque vous lancez les Éditions du Regard ?
José Alvarez : J’ai créé les Éditions du Regard parce que j’avais des envies de livres dans un paysage éditorial complètement désertique. Skira n’existait presque plus (la maison sera reprise plus tard), Mazenod sortait chaque année son mastodonte, Le Chêne éditait quelques beaux livres de photos et Gallimard publiait son « Univers des formes » tous les trois ou quatre ans. Il y avait tout de même Flammarion, dont j’étais proche, qui, de temps en temps, sortait un ouvrage comme le Matisse de Schneider [1980]. Mais c’était, en France, à peu près tout.
Surtout, il n’y avait rien sur le xxe siècle, qui, moi, m’intéressait. Or, les éditeurs refusaient mes livres, qu’ils jugeaient trop risqués en raison, à l’époque, du manque de notoriété des artistes et des créateurs. Ce qui n’a pourtant pas empêché mes livres sur Fortuny, Jean-Michel Frank, Ruhlmann, Chareau… de marcher dès leur sortie. Certains les trouvaient trop élitistes ? Ils sont devenus en cinq ans des classiques.
L’œil : Le contexte des années Lang a-t-il aidé votre succès ?
J. A. : Bien sûr. À la fin des années 1970, j’étais par exemple très proche d’artistes de la Figuration narrative, comme Aillaud, Recalcati… Et sur lesquels rien n’était fait. Le contexte artistique était pourtant assez riche. Les années 1980 ont vu naître un désir qui a fait éclore plusieurs petits éditeurs et fait parler d’art. Même si c’est à partir des années 1984 et 1985 que tout a vraiment commencé.
L’œil : Les musées ont-ils créé un appel d’air favorable à l’édition ?
J. A. : Oui. Cela dit, je ne me suis jamais battu pour faire des livres et des catalogues avec les musées ; c’est très ennuyeux. D’autres l’ont fait : Georges Herscher [pilier du Chêne dans les années 1970, il avait créé sa maison d’édition en 1980], Somogy, Adam Biro… Moi, j’avais envie de créer, sans devenir un prestataire de services.
L’œil : Parlait-on déjà, dans les années 1980, des livres d’art ?
J. A. : À l’époque, comme il en sortait peu, la presse était très avide de livres d’art. Chaque sortie d’ouvrage, comme celui sur Mariano Fortuny au Regard, était le prétexte à une fête et à une exposition qui, à chaque fois, lançaient une mode. Des plissés Fortuny, tout le monde en a fait à la suite du livre : Hermès, Agnès Comar, etc.
Le livre sur Frank, en même temps que faire connaître l’artiste, a lui aussi suscité en décoration cette mode épurée fondée sur l’espace et le vide. Pour la sortie du livre, Fabrice Hemer, le directeur du Palace, a même donné une fête où deux mille personnes étaient conviées. Rendez-vous compte ! La presse relayait tout cela, et nous avions alors six ou huit pages dans Le Figaro Magazine.
Tandis qu’aujourd’hui, il faut se battre pour lire trois ou quatre lignes dans un journal. Sans compter que certains grands livres, comme le Giorgione de Jaynie Anderson [édité en 1996 aux Éditions de la Lagune], une référence dans le monde entier, passent complètement inaperçus auprès de la critique qui leur préfère, parfois, des cochonneries éditoriales…
L’œil : Rétrospectivement, de quoi êtes-vous le plus fier ?
J. A. : Vous connaissez ce poème d’Éluard : Le Dur Désir de durer. Eh bien, pour le moment, je suis assez content de tenir toujours. Les Éditions du Regard sont les dernières de cette importance encore indépendantes.
Autrement, il y a des livres dont je suis très fier, comme Vhutemas [ateliers d’arts appliqués fondés en Russie dans les années 1920], une somme complètement folle qui s’est malheureusement mal vendue. Il y a aussi les grandes monographies d’artistes : le Bronzino [de Maurice Brock], le Giorgione, le Cy Twombly [de Richard Leeman] ou le Kiefer de Daniel Arasse. Et bien sûr d’autres livres, comme La Maison de Jean-Pierre Raynaud.
Par ailleurs, nous avons eu cette chance, au Regard, de toujours avoir eu accès à des archives complètes et inédites pour publier nos livres, comme celles de Frank. Ce fut la même chose pour Chareau, Goulden, etc.
L’œil : Bony, Baqué, Ardenne, Arasse : vous êtes fidèle à vos auteurs…
J. A. : J’aime mes auteurs. Mais il y a aussi les jeunes auteurs, comme Richard Leeman. J’ai voulu, dès 1979, publier un livre sur Twombly. Mais Cy ne voulait pas d’une monographie. Un jour, j’ai eu entre les mains la thèse de Leeman sur l’artiste, tellement passionnante ! Je lui ai alors demandé de travailler à un texte, sans l’assurance d’être édité. Richard a joué le jeu et, une fois le travail terminé, nous sommes allés présenter le manuscrit à Cy, à Gaeta près de Rome. Il a été convaincu, et nous avons sorti le livre.
L’œil : Pourquoi avoir publié un premier roman chez Grasset en 2009 ?
J. A. : J’ai toujours été très interventionniste, tant sur le graphisme que sur le contenu, j’accompagne donc beaucoup mes auteurs. Bien sûr, j’ai toujours écrit des préfaces, des articles… Mais l’écriture est arrivée petit à petit, il y a quinze ans. Et aujourd’hui, je n’ai plus envie que d’elle ! D’ailleurs, j’ai déjà d’autres romans en tête.
L’œil : Quels sont les succès éditoriaux des Éditions du Regard ?
J. A. : Les décennies d’Anne Bony ont toutes été réimprimées au moins une fois, à l’exception des années 1910 et 1920, et jusqu’à cinq fois pour les années 1950. Art, l’âge contemporain de Paul Ardenne a dépassé les 20 000 exemplaires. Mais il y en a d’autres…
L’œil : Pourquoi continuer à éditer des livres d’art en 2010 ?
J. A. : Je me pose souvent la même question… Parce que c’est une drogue ?
1947
Naissance
en Espagne
de José Alvarez.
1979
Création des Éditions du Regard.
1992
Auteur spécialisé dans l’art, les arts décoratifs et l’architecture,
il participe au Dictionnaire de l’art moderne et contemporain (Hazan).
1993
Création des Éditions de la Lagune qui deviendront une collection des Éditions du Regard.
2009
Publie son premier roman chez Grasset, Anna
la nuit, un récit personnel autour de la disparition de sa femme trente ans plus tôt.
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José Alvarez - Créateur du Regard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°623 du 1 avril 2010, avec le titre suivant : José Alvarez - Créateur du Regard