Réalisateur du célèbre film La Maman et la Putain, Jean Eustache a aussi fait des courts dont Les Photos d’Alix et Le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Tous deux s’intéressent à l’art en général, à la photo et à la peinture en particulier.
Carlotta Films a édité un coffret consacré à Jean Eustache (1938-1981). On y trouve son classique, si longtemps invisible, La Maman et la Putain (1973), ainsi que Numéro zéro (1971) et Mes petites amoureuses (1974). Dans l’ombre de ces monuments, l’objet cache de petites œuvres méconnues, dont Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1979) et Les Photos d’Alix (1980, César du meilleur court métrage en 1982). Réalisé pour la télévision, Le Jardin des délices de Jérôme Bosch met en scène Jean-Noël Picq, un ami d’Eustache. Faux documentaire, le film relate une soirée entre amis où Picq tente de comprendre la fascination qu’exerce ce tableau. Il décrit un monde sans aucune frontière. Ni entre l’humain et l’animal, ni entre le féminin et le masculin, ni entre le plaisir et la douleur… Un monde qui ne répond à aucune organisation connue. Face à lui, ses amis l’écoutent avec attention. Mais plus le film avance, plus Eustache paraît s’intéresser à autre chose qu’au tableau. Le son capte un exposé savant tandis que l’image saisit le regard d’une femme sur un homme. Est-elle captivée, un peu grisée par la fatigue et l’alcool, ou vaguement séduite par cette parade un peu pédante ? Il est impossible de savoir si Le Jardin des délices de Jérôme Bosch est un film sur l’art ou une étude amusée sur la séduction, et le snobisme qui en découle parfois. Le résultat qui dure un peu plus de trente minutes n’en est pas moins charmant.
Œuvre plus troublante, Les Photos d’Alix met en scène la photographe Alix Cléo Roubaud et un adolescent joué par Boris Eustache. À première vue, nous sommes devant un film amateur où le réalisateur filme son fils et une amie artiste. Juste une conversation anodine dans un décor d’appartement ordinaire. Ensemble, Alix et Boris passent en revue divers clichés que la photographe commente avec malice et une certaine sensualité : photos qui racontent des souvenirs, des amours, des villes visitées… Beaucoup sont truquées, comme le lit qu’elle a artificiellement agrandi pour le rendre plus « hollywoodien ». Doucement, le film bascule dans l’étrange. La caméra capte la photo d’une paire de chaussures et la voix d’Alix explique à Boris qu’il s’agit d’une scène de déjeuner dans un pub de Londres. Sur un autoportrait d’elle nue, de dos, la photographe assure qu’il s’agit d’un « coucher de soleil sur Fez ». Eustache, par la toute-puissance du montage, a-t-il détourné la parole d’Alix Cléo Roubaud ? S’est-elle volontairement prêtée au jeu d’un projet scénarisé ? Mystère. Les Photos d’Alix comme Le Jardin des délices de Jérôme Bosch abordent cette lutte de pouvoir toujours irrésolue entre les mots et les images. Ce que les uns font aux autres… et comment, perdue dans ce méli-mélo, la vérité s’égare.
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Jean Eustache, des mots et des images
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : Jean Eustache, des mots et des images