« Doucet semble avoir eu le génie de la coordination. » Certes. Il a eu aussi celui des grandes collaborations. Poiret, Suarès, Breton, Legrain… Ces hommes du panthéon du xxe ont tous collaboré avec Jacques Doucet, ou plutôt pour Jacques Doucet !
Couturier-collectionneur
Grand couturier du Paris fin de siècle – de « la femme ornée », dit François Chapon, directeur
honoraire de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet –, Doucet (1853-1929) habille les femmes riches, les demi-mondaines et les actrices de théâtre, Réjane et Sarah Bernhardt en ambassadrices de la marque. Ses robes – on ne parle pas encore de haute couture – colorent les salons et égayent les champs de courses. En héritier d’une dynastie lingère, il participe, à la fin du xixe, au règne de la tournure. Voyant au début des années 1900 l’avènement du soutien-gorge et l’émancipation des femmes, l’homme d’affaires avisé s’adapte et garde le haut du pavé. Mais, pour Doucet, la mode reste une activité lucrative ; à la couture, il préfère la culture.
Illustre collectionneur, homme au goût tantôt réactionnaire, tantôt visionnaire, Doucet a possédé des Chardin, Watteau, Degas, Renoir, Picasso, Duchamp. Sa première collection, dite du xviiie, lui a permis de gagner ses lettres de noblesse auprès d’une bourgeoisie encline à ne voir en lui qu’un ouvrier. En juin 1912, à la suite d’une blessure amoureuse, Doucet vend son premier joyau à l’encan. La vacation bat tous les records : celui de l’adjudication la plus élevée (360 000 francs pour Sacrifice au Minotaure de Fragonard) et celui des ventes totales (quinze millions de francs en trois jours).
Libre et fortuné, Doucet se lance alors dans la création d’une bibliothèque littéraire et d’une collection d’art moderne. Il vient déjà de fonder la Bibliothèque d’art et d’archéologie qu’il s’apprête à offrir à l’Université de Paris. Dès lors, Apollinaire, Aragon, Picabia, Duchamp, Man Ray… se croisent chez lui. Côté collection, outre l’esquisse pour Le Cirque de Seurat, son jeune bibliothécaire de vingt ans, André Breton, lui fait acquérir Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, « qu’il serait si fâcheux de voir partir à l’étranger ». On le sait, les vœux du poète n’ont pas été exaucés, la toile ayant depuis traversé l’Atlantique. Mais la promesse faite à Delaunay de faire entrer La Charmeuse de serpent de Rousseau au Louvre, elle, a bien été honorée.
C’était Jacques Doucet : un grand couturier, un riche collectionneur et un mécène d’exception.
François Chapon, C’était Jacques Doucet, Fayard, 2006, 558 p., 25 €.
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Jacques Doucet, collections cousues main
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Jacques Doucet, collections cousues main