Que faire du vingtième siècle ? Un tombeau ou une histoire ? Avec des conceptions et des moyens diamétralement opposés, Paul Virilio et Greil Marcus explorent les impasses et les lignes de fuite d’un temps qui n’est pas encore achevé.
En quelques courts paragraphes, qui sont le produit des notes de deux conférences, Paul Virilio entreprend la critique de l’art contemporain avec un grand luxe de variations typographiques et une rhétorique tranchée qui veulent en désigner immédiatement le caractère radical. “Pitoyable/impitoyable”, “fusion/confusion”, “pâtir/compatir”, “éthique/esthétique”, “dire/taire”, tantôt en italiques, tantôt en petites capitales, parfois les deux, sont quelques-uns des binômes qui animent un discours qui se voudrait à la fois dialectique et définitif. Mais l’auteur a fort à faire, car jusqu’ici, prévient-il, nous n’avions pas compris que l’art était le reflet de son temps et qu’on ne pouvait l’examiner sans décrypter aussi les tendances de la science et des médias. Aussitôt dit, aussitôt fait : de l’eugénisme à l’iconoclasme, de “l’expressionnisme génétique” à “l’inhumanité”, de George Orwell à la téléprésence, de Géricault à Meg Stuart, tout y passe. Virilio multiplie les thèmes et les exemples, indifféremment puisés dans Ouest-France et dans les essais de Hans Magnus Enzensberger, avec une compulsion si pathétique qu’il devient difficile de savoir où il veut en venir.
Une chose est certaine : l’auteur, qui témoigne d’un attachement affectif à ses propres opinions, entretient une confusion qui a pour première conséquence d’ôter toute qualité historique aux objets qu’il envisage. Sans le dire (sans y penser ?), il entérine du même coup la disparition d’un langage structuré et la fin de l’histoire, dont il étend l’empire rétroactivement. S’il cite l’essai de Greil Marcus, que Gallimard réédite aujourd’hui, il tourne le dos aux prémisses du projet critique de l’universitaire américain. Non seulement le vingtième siècle a une historicité, mais celle-ci est loin d’être épuisée et il reste à envisager la multiplicité de ses récits.
Nulle complaisance chez Marcus
Partant des Sex Pistols, dont l’aventure lui permet d’identifier quelques symptômes à l’état brut, Marcus écrit, avec un art consommé du contrepoint, l’histoire des avant-gardes, du Dadaïsme à l’Internationale situationniste. Très loin d’en consacrer les aspects nihilistes et de les ériger en clef explicative unique, il en retrace les origines lointaines et les déploie dans toutes leurs contradictions. Nulle complaisance dans cet examen, nulle hâte à en tirer des conclusions, mais la volonté de considérer les “brèches” de l’histoire et les différents niveaux auxquels elle s’exprime. “Les vraies énigmes ne peuvent pas être résolues, mais elles peuvent devenir de meilleures énigmes.” Si Virilio discrédite la portée critique de la paranoïa, Greil Marcus redéfinit sans avoir l’air d’y toucher l’espace et les vertus de l’histoire.
- Paul Virilio, La Procédure silence, éditions Galilée, 76 p., 98 francs. ISBN : 2-7186-0522-7.
- Greil Marcus, Lipstick traces, une histoire secrète du vingtième siècle, Folio-Gallimard, 608 p., 78 francs. ISBN : 2-07-041077-3.
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Histoires parallèles du XXe siècle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°114 du 3 novembre 2000, avec le titre suivant : Histoires parallèles du XXe siècle