Françoise Fromonot signe un ouvrage sur l’architecte de Sydney attentif dans ses réalisations à respecter l’harmonie de la nature.
Dans le monde de l’architecture, c’est un véritable ovni. À 67 ans, l’Australien Glenn Murcutt ne fait rien comme les autres. Depuis 1969, date à laquelle il a ouvert sa propre agence, à Sydney, il exerce seul : « Je suis quelqu’un de très indépendant, et j’aime l’idée de rester maître de mon destin. Je trouve cela si gratifiant de pouvoir penser, griffonner, et travailler sans confusion autour de moi… » Un travail à l’ancienne, avec une planche à dessin et un téléphone (fixe). Point. Murcutt s’est évidemment risqué un temps à l’ordinateur, mais a profité de la première panne pour le remiser, reprochant en réalité à l’outil informatique la « distance que celui-ci instaure entre le dessin et la pensée ». Comme il s’est d’ailleurs rapidement débarrassé de son téléphone portable et exclut toute adresse électronique. Enfin, cerise sur le gâteau, il refuse obstinément, malgré les sollicitations, d’œuvrer hors d’Australie ou de participer à des concours internationaux. Bref, aux pays des kangourous, il cultiverait plutôt un tempérament d’ours mal léché. Ce qui ne l’a pas empêché de décrocher, en 2002, le prestigieux prix Pritzker, considéré comme le « Nobel » en architecture. Et d’avoir acquis, depuis une décennie, une renommée internationale, distillant conférences et masterclasses tout autour de la planète, en particulier dans les universités américaines.
De cet électron foncièrement libre de l’architecture mondiale, Françoise Fromonot tire un livre passionnant, en deux parties, intitulé simplement Glenn Murcutt. L’auteure trace d’abord un portrait attachant, puis analyse consciencieusement le parcours de l’architecte, notamment son mode de production. Enfin, elle montre au chapitre « Perspectives critiques » l’influence de son œuvre auprès de la génération actuelle, en regard de réalisations récentes, ainsi celles du duo français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ou du propre fils de Murcutt, Nicholas. Dans la seconde section de l’ouvrage sont décortiqués 33 projets datant de 1968 à 2002.
Un vrai constructeur
Glenn Murcutt est assurément un architecte prolifique. En trente années de carrière, il a construit quelque 500 maisons particulières, de la luxueuse demeure pour industriel fortuné à la maison Carey (1987), conçue, gratuitement, pour un instituteur désargenté à partir de serres de jardin. Mais le mode de travail particulier de Murcutt – en solitaire – limite, de fait, le nombre de projets en cours. Les clients candidats sont ainsi tenus de patienter de trois à cinq ans pour pouvoir prétendre à une place dans son agenda saturé.
Si ses influences sont légion chez les maîtres du passé (Alvar Aalto, Frank Lloyd Wright…), Murcutt cite avant tout Mies van der Rohe et la maison Farnsworth, pour la simplicité, la clarté et la fluidité du plan : « Pour moi, la simplicité ne consiste pas tant à négliger ce qui est complexe qu’à clarifier ce qui importe. » D’où aussi son inclination pour les abris temporaires en écorce des Aborigènes. Mais Murcutt est aussi un vrai constructeur, qui, très tôt, intègre des produits industriels à son architecture, telles les persiennes à lames de verre pivotantes, et fait de la traditionnelle tôle ondulée des fermes de l’Outback australien son matériau fétiche. Dès les années 1980, une ribambelle de pavillons métalliques le font connaître à l’étranger. On se souvient notamment de la célèbre maison Magney, à la toiture en profil d’ailes d’oiseau, construite à Bingie Point (Nouvelle- Galles du Sud). Les réalisations de Murcutt ont une force inextinguible : celle de se fondre dans leur environnement. « La raison du paysage règne désormais en maître », constate Françoise Fromonot. Car l’architecte prend en compte non seulement les caractéristiques importantes du site mais aussi les contraintes climatiques (orientation solaire, vents dominants) et les éléments remarquables du lieu (arbre, rocher, source…), « que le chantier ne doit endommager, ni le bâtiment perturber ». En ces temps d’écologisme à tout va, ils sont d’ailleurs nombreux à célébrer ses « machines à habiter le paysage » comme des modèles « d’architecture écologique ». « Les cabanes sophistiquées de Murcutt matérialisent le fantasme contemporain d’une vie simple, libérée des sujétions sociales, en osmose avec une nature essentielle », écrit Fromonot. De ses « abris » précis et précieux sourd une indéniable séduction.
Françoise Fromonot, Glenn Murcutt, éd. Gallimard, 326 pages, 650 ill. dont 250 en couleur, 75 euros. ISBN 2-07-011762-6.
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Glenn Murcutt, un soliste australien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : Glenn Murcutt, un soliste australien