Les éditions Buchet-Chastel font paraître le dernier livre de l’architecte, designer et théoricien italien Gaetano Pesce, 77 ans, un « abécédaire » d’une centaine de mots, d’Adoption à Zèbre.
En 2011, lors du Salon du meuble de Milan (lire le JdA n° 346), vous « crucifiiez » la classe politique transalpine à travers votre installation Italia in Croce [L’Italie en croix], fustigeant son « inactivité », son « moralisme », son « égoïsme » et son « conservatisme ». Nous sommes en 2017, comment va l’Italie ?
Tout allait mieux jusqu’au départ, en décembre, du Premier ministre Matteo Renzi. Un peu comme Donald Trump aujourd’hui, il était un outsider, c’est-à-dire qu’il se comportait d’une façon plus libre, au-delà des schémas rigides traditionnels. Tellement libre d’ailleurs qu’il a commis une erreur enfantine avec son référendum perdu. Un outsider est avant tout un signe que le monde change. L’amour pour l’outsider est l’amour pour l’unique. Cette question de l’unicité est au centre de mon travail.
Effectivement, vous abhorrez la production de masse et vous vous êtes d’ailleurs fait une spécialité de la « série diversifiée », autrement dit de l’introduction de l’original, de l’unique dans la série ? En quoi cela consiste-t-il ?
Un objet, quel qu’il soit, est le produit de deux choses : d’un côté, le binôme forme-fonction, de l’autre, l’expression ou le contenu, autrement dit ce que l’objet exprime d’un point de vue, par exemple, de la religion, de la politique, de la société ou de l’existence. Cela peut aussi être de l’ordre de la surprise ou de l’humour. On peut transmettre beaucoup de choses grâce à l’humour, à la légèreté. J’ai conçu une armoire qui, lorsque les portes sont fermées, semble sourire et, lorsqu’elles sont ouvertes, paraît faire la grimace. Il est très important que l’objet soit « un lieu où l’on parle ». Cela aide à penser.
En architecture aussi vous fustigez le style international, générateur d’une uniformisation ?
Prenez New York, où j’habite : que ce soit le Seagram Building de Mies van der Rohe ou la Trump Tower, il s’agit toujours de la répétition d’un même plan, sans aucun changement formel d’un étage à l’autre. Pour moi, la diversité, c’est la démocratie. J’ai proposé, jadis, sur une invitation du MoMA, le projet Gratte-Ciel, une tour qui célébrait la diversité. Chaque niveau, réalisé en mousse de polyuréthane, était différent. Objectif : sortir de la géométrie de la boîte pour aller vers l’expression organique. L’abstraction, c’est fini, en revanche, la figuration, elle, permet de communiquer. L’architecture, aujourd’hui, n’est plus une affaire de géométrie, mais d’image.
Même constat pour la globalisation ?
La globalisation est une chose horrible. On ne peut, aujourd’hui, construire le même bâtiment à Bakou (Azerbaïdjan), à Londres ou à Rome. L’architecte ne peut faire fi des réalités de chaque situation. Chaque lieu possède son propre esprit. Il faut conserver la différence, les différences.
D’où votre « appétit » pour les matériaux peu « orthodoxes », en tout cas non-traditionnels, comme les résines ?
Dans mon travail, je préfère être sincère. J’use donc des matériaux de mon époque. Il existe aujourd’hui des matières aux qualités extraordinaires, comme des résines dont la couleur change selon les heures de la journée. Je laisse « parler » les matériaux et ils sont souvent plus riches que je ne l’aurais pensé. Il ne faut pas hésiter non plus à les « manipuler ». Ce que le cerveau ne peut « voir », la main, elle, le peut.
Vous militez également pour « sublimer » les défauts de l’industrie et non les proscrire ?
C’est humain. Nous sommes tous bourrés de défauts, pourquoi vouloir à tout prix la perfection ? Certes, si elle est là, tant mieux, autant la montrer. Mais on peut aussi à travers les défauts, proposer un nouvel idéal de beauté. Le matériau, lui-même, est également capable d’imposer sa volonté. Et certaines erreurs sont d’une beauté extraordinaire. Pourquoi alors continuer à imposer comme idéal une beauté abstraite ? Un jour, sans doute, les usines pourront offrir leur outil industriel directement aux clients, afin qu’ils puissent y fabriquer eux-mêmes leurs objets, selon leurs goûts. Il faut que chacun puisse exprimer sa propre créativité, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui.
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Gaetano Pesce : « Il faut conserver les différences »
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Abonnez-vous dès 1 €Entretiens avec Philippe Garnier, collection « Entretiens », éditions Buchet-Chastel, 2017, 232 pages, 19 illustrations, 19 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Gaetano Pesce : <em>« Il faut conserver les différences »</em>