Lauréat du prestigieux prix hollandais Erasme, le designer Pierre Bernard se voit offrir une monographie pointue signée de l’éminent critique Hugues Boekraad
En France, l’information est passée quasiment inaperçue et pourtant l’événement est de taille. C’est la première fois, depuis 1958, qu’un designer décroche le prestigieux Prix Érasme, décerné chaque année par la Fondation néerlandaise éponyme (http://www.eras musprijs.org/eng/index.htm). Qui plus est un Français, en l’occurrence le graphiste Pierre Bernard, 65 ans, lequel l’a reçu le 24 novembre dernier, à La Haye. Le Prix Érasme est attribué « à une personne ou une institution ayant effectué une contribution exceptionnellement importante à la culture en Europe ». Parmi les récipiendaires antérieurs, on trouve entre autres : Bernd et Hilla Becher, Peter Sellars, Renzo Piano, Sigmar Polke, Václav Havel, Jean Prouvé, Olivier Messiaen, Hans Scharoun, Henri Moore, ou encore, Ingmar Bergman… D’où l’importance du symbole.
Cette première monographie exhaustive dont la parution simultanée à cette récompense ne doit rien au hasard – elle a été écrite par Hugues Boekraad à la demande de la Fondation Érasme – en brosse un portrait fouillé : un peu l’homme, davantage son œuvre et ses engagements. Elle s’intitule Mon travail ce n’est pas mon travail/Pierre Bernard/Design pour le domaine public. Sous-entendu : il s’agit non pas d’un travail de solitaire, mais toujours d’une œuvre collective. Quoi qu’il en soit sont ici présentées des pièces « dont pour la plupart j’ai été le maître d’œuvre opérationnel, le concepteur ou l’un d’entre eux, et sans exception, l’ardent militant du résultat final », tient à préciser en préambule le graphiste. Au total donc, seize projets majeurs répartis en six chapitres : Politique ; Social ; Culturel ; Patrimoine national ; Science et Espace public.
Défile alors sous nos yeux une ribambelle d’images notoires : le logotype du Secours populaire français (une main tendue parée de deux petites ailes) et celui du Parc de la Villette, à Paris, avec un triangle vert pour signifier le « V » de Villette, le premier « e » dans un carré rouge et le second dans un rond bleu ; l’emblème des Parcs nationaux de France, avec sa spirale animalière inspirée d’une tapisserie médiévale (La Dame à la Licorne) ; le système d’informations touristiques – panneaux de signalisation – des autoroutes Rhône-Alpes ; l’identité visuelle du Louvre, suspendue dans les nuages, et celle du Centre Pompidou, avec ses lettres DIN – créées en 1906 par les chemins de fer prussiens – qui se dissimulent ou pas derrière l’image ou la photographie… Sans oublier ce célèbre Mickey époque Grapus, affublé d’une petite moustache et d’une mèche de cheveux façon Hitler et d’un sigle faucille/marteau en guise d’œil droit, le tout pour dénoncer les trois systèmes politico-idéologiques qui ont dominé le XXe siècle : le communisme soviétique, le national-socialisme allemand et le capitalisme américain. « Les objectifs de la production de Bernard, écrit Hugues Boekraad, sont proches de la rhétorique classique : le divertissement par l’humour et des inflexions imprévues, par l’utilisation fantaisiste de couleurs, par la transgression de frontières, par des boutades visuelles et des clowneries typographiques ». Pierre Bernard est un professionnel engagé, tiers-mondiste à la fin des années 1960, anti-globaliste à la fin des années 1980. Membre durant quinze ans du Parti communiste français, il ne réussira cependant pas, comme le remarque Boekraad, « à donner corps à son ambition d’imprimer sa marque sur la politique de communication du PCF ». Au sein du fameux collectif Grapus qu’il cofonde en 1970 et codirige jusqu’en 1990, puis à partir de 1991 à la tête de son propre Atelier de création graphique, Pierre Bernard explore de fond en comble la sphère publique. « Son choix fondamental pour le domaine public a, à l’évidence, exercé une influence fondamentale sur la nature même de son art », estime non sans redondance Boekraad. Son rêve : créer des Images d’utilité publique – titre du catalogue accompagnant une exposition au Centre Pompidou en 1988 –, tel qu’existent aujourd’hui les « Travaux d’intérêt général », le côté punition en moins. Ce « graphisme d’utilité publique » est certes une belle idée, mais a-t-elle véritablement réussi aujourd’hui à s’ancrer dans les mœurs ? À voir la pauvreté de l’identité visuelle actuelle d’institutions publiques ou, pis, de celle de la campagne présidentielle en cours – slogans, logos, affiches… –, on en doute !
éd. Lars Müller, 2007, 320 pages, 200 ill. en couleur, 39,90 euros, ISBN 978-3-03778-086-2.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Extension du domaine public du design