Un ouvrage fixe la mémoire de quelque 700 bâtiments ayant contribué à écrire l’histoire du pouvoir judiciaire.
Un véritable inventaire avant dispersion. Alors que la réforme de la carte judiciaire a provoqué la fermeture de deux cents tribunaux, suivie en général de leur cession, un passionné du sujet s’est livré à une impressionnante entreprise. Magistrat de profession mais aussi historien et photographe amateur spécialisé dans l’art liturgique, Étienne Madranges a arpenté tout le territoire, au cours de sa carrière et dans ses loisirs, pour garder la trace de tout ce qui a pu servir, à un moment donné de l’histoire, à l’activité de la justice. Et il y a de quoi faire, la justice étant la plus ancienne des missions régaliennes de l’État. « La France a une véritable civilisation judiciaire », écrit ainsi son auteur en préambule de ce tour de France et d’outre-mer de la chose judiciaire, qui l’a amené à photographier quelque sept cents édifices dans leurs moindres détails.
Si l’histoire de ces constructions a déjà été relatée dans des ouvrages savants, elle prend ici vie par l’image. Avant l’apparition, au XIe siècle, des premiers édifices, prévôtés, bailliages, présidiaux ou auditoires, la justice est rendue en plein air, sur des bancs de justice dont subsistent encore quelques vestiges, ou parfois même devant des menhirs néolithiques, comme à Davayat (Puy-de-Dôme). Les premiers bâtiments spécifiques n’apparaîtront qu’au XIIe siècle, alors que la multiplication des juridictions, au siècle suivant, entraînera une diversification des constructions. Les premiers grands édifices ne seront toutefois bâtis qu’au XVe siècle, époque de construction des grands Parlements régionaux tel celui de Rouen ou de Rennes (XVIe siècle), dans une veine somptuaire qui sera poursuivie jusqu’au XVIIIe siècle. La Révolution française impose une rupture. De nombreux édifices cultuels réquisitionnés sont alors affectés à l’institution judiciaire, qui s’y installe en appréciant le symbole.
Image solennelle
C’est au XIXe siècle que sera forgée l’image la plus prégnante, car homogène, de l’architecture judiciaire : celle du véritable palais inspiré par le temple à colonnes à l’antique, élevé au cœur de la ville et véhiculant une image solennelle et coercitive du pouvoir de la justice. L’efficacité de cette typologie et de son décorum, parfois luxueux, sera telle que la réinvention du modèle n’a, encore aujourd’hui, pas tout à fait abouti. Les nouveaux palais, construits dans la seconde moitié du XXe siècle, ont échoué à en renouveler l’image, brouillant parfois le message d’un pouvoir relégué au rang d’administration dans de banales cités judiciaires (Draguignan) ou, a contrario, dans des objets architecturaux non identifiés et peu adaptés à leur usage (palais de justice de Bordeaux par Richard Rogers). Souhaitons qu’avec son projet pour le nouveau Palais de justice de Paris, grande tour à gradins de 160 mètres élevée sur un socle de salles d’audience, prévu pour être livré en 2017 au cœur du quartier des Batignolles, Renzo Piano parvienne à faire la synthèse de cette longue histoire architecturale. C’est celle-ci que raconte visuellement – le texte est secondaire – ce monumental ouvrage qui, pour autant, ne se veut pas exhaustif.
Conçu de manière très personnelle et quasiment en solo par Étienne Madranges, y compris pour ses 5 400 documents iconographiques, il est ponctué d’anecdotes, décrivant ainsi ce « palais où l’on mange les avocats » car planté d’un avocatier avec fruits comestibles. Il fourmille aussi de détails sur le moindre décor de la plus petite prud’homie de pêche, frôlant la recension maniaque avec ce kaléidoscope de barres de témoin, ce qui aboutit à un résultat déroutant. Son éditeur est d’ailleurs plus spécialisé dans la publication de codes juridiques que de beaux livres. Mais cette somme constitue une recension extraordinaire d’un patrimoine en pleine mutation, comme l’aurait fait jadis l’Inventaire général du patrimoine. Car c’est bien l’objectif d’un livre si singulier, comme le précise son auteur : « conserver dans sa globalité la mémoire d’un patrimoine exceptionnel ». Une même démarche mériterait d’être conduite sur le patrimoine carcéral français, menacé par la restructuration annoncée – et par ailleurs salutaire – du parc des prisons, qui risque d’en faire disparaître de nombreux éléments remarquables du point de vue architectural.
Ed. LexisNexis, 590 p., 74 €, ISBN 978-2-7110-1673-0.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Étienne Madranges, « Les palais de justice en France »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Étienne Madranges, « Les palais de justice en France »