Débat structurant pour toute la vie intellectuelle et artistique dans la seconde moitié du XVIIe siècle et une grande partie du suivant, la Querelle des Anciens et des Modernes a mobilisé les meilleures plumes du temps, en France mais aussi dans le reste de l’Europe. L’anthologie publiée chez Folio restitue ce bouillonnement, qui, d’abord littéraire, devait s’étendre à tous les arts.
Boileau, Racine, La Fontaine, Perrault, Fontenelle, Du Bos, Marivaux, Voltaire, tous les beaux esprits de la France littéraire, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, allaient s’engager passionnément dans cette Querelle éternelle, celle des Anciens et des Modernes. “Principe intime de la vitalité inventive de la République des lettres”, ce débat allait s’étendre à l’Europe entière, de l’Italie à l’Angleterre. L’anthologie établie par Anne-Marie Lecoq a volontairement laissé de côté les contributions les plus accessibles, pour privilégier les textes plus rares. Au fil des pages, en vers ou en prose, les écrivains font assaut de rhétorique et de sophismes, d’ironie et d’arrogance, voire de mauvaise foi, pour défendre la primauté de leur parti. La virulence de la Querelle indique, si besoin était, que l’enjeu n’est pas littéraire ou artistique mais bien politique. Dans sa longue introduction, intitulée en hommage à Swift “Les abeilles et les araignées”, Marc Fumaroli en rappelle les prémices et les principales étapes, et en souligne surtout le caractère fondateur – et éclairant au regard des tensions qui ont agité et continuent d’agiter l’époque contemporaine.
Au début du XVIIe siècle, les Italiens avaient été les premiers à tenter le parallèle entre les Anciens et les Modernes, non pour chanter la nostalgie d’un improbable âge d’or, mais pour dénoncer à l’aune des auteurs antiques, le cynisme des princes chrétiens. Il s’agissait de voir avec les “lunettes de Tacite”. En France, la Querelle prend une tout autre dimension : elle est “le fait d’hommes qui ont les yeux fixés sur leur roi ; ils font ou feront partie de la constellation d’Académies domiciliant la République française des Lettres dans l’État royal”. Entre eux, c’est “à qui détient la meilleure façon de louer leur roi”. Proche de Colbert et champion des Modernes, Charles Perrault, cet “écrivain haut fonctionnaire, entièrement dévoué au service de l’État”, signe avec Le Siècle de Louis le Grand en 1687 le manifeste de son parti, et se fait l’“instrument servile de la modernité d’État”.
Pour les Anciens, Racine et Boileau en tête, “l’autorité millénaire des grands poètes païens est à [leurs] yeux la meilleure garantie contre le fanatisme moral des zélotes chrétiens”. L’enjeu vital, c’est l’autonomie de la littérature. “Tout au long de la Querelle, qu’il s’agisse d’Euripide ou d’Homère, ce sont sous Louis XIV les Anciens qui admettent ce qu’il y a de vif, de déconcertant, de déchirant dans la représentation de la vie humaine par les poètes antiques, tandis que les Modernes sont favorables à des conventions morales et esthétiques uniformes et confortables.” À la fin du règne du Roi-Soleil, la Querelle “se transforme en un grand débat de l’art avec les techniques, du génie avec la méthode, de la vision poétique avec l’univocité de la déduction logique”.
Si, en devenant historiographes du roi, Racine et Boileau signent la victoire temporaire des Anciens, l’incursion de Fontenelle dans la Querelle allait redorer le blason des Modernes. Esprit libre, l’auteur de la Digression sur les Anciens et les Modernes (1688) n’hésite pas à s’en prendre à son propre camp, et notamment à sa bête noire, Descartes : “Avant Monsieur Descartes, on raisonnait plus commodément ; les siècles passés sont bien heureux de n’avoir pas eu cet homme-là. C’est lui, à ce qu’il me semble qui a amené cette nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou incertaine, selon les règles qu’il nous a apprises.” Ses piques rejoignent celles d’un Ancien émérite, l’abbé Du Bos, dont les Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1719), allaient poser les bases de l’esthétique.
- La Querelle des Anciens et des Modernes, édition établie par Anne-Marie Lecoq, préface de Marc Fumaroli, postface de Jean-Robert Armogathe, éd. Folio Classique, 2001, 890 p, 70 F. ISBN 2-07-038752-6.
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Éternelle Querelle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Éternelle Querelle