Souvent perçu comme « le peintre sévère des grandes machines religieuses », Jean Restout (1692-1768) sut pourtant « créer un style enlevé et élevé à la fois », et briller dans les genres profanes, comme le démontre la magistrale monographie de Christine Gouzi. Sa peinture n’en demeure pas moins « un maillon essentiel dans la continuité de la Grande Manière d’obédience religieuse au XVIIIe siècle », et entretient des rapports complexes avec le jansénisme, subtilement analysés par l’auteur.
“Il falloit à l’un et à l’autre [Jouvenet et Restout] des sujets sérieux ; ils n’ont bien réussi que là”, écrivait Mariette dans son Abecedario. Tandis que, dans la Galerie françoise (1772), on pouvait lire que “l’austère Restout ne s’abaissa jamais à des tons moins élevés : qu’on ne le cherche pas sur les panneaux de nos chars, ni dans les alcôves dorées, où les arts encensent la mollesse”. Ces quelques jugements de ses contemporains, suivis par la postérité ont eu tôt fait de cataloguer l’artiste comme “le peintre sévère des grandes machines religieuses”, doublé d’un imitateur de Jean Jouvenet. À la suite de Pierre Rosenberg et Antoine Schnapper, Christine Gouzi corrige cette image, et, s’appuyant sur son catalogue raisonné, caractérise avec beaucoup de nuances la manière propre de Restout : il “trouva dès ses premières années un style original qui liait en une formule personnelle des éléments hétéroclites : une touche vibrante issue de la peinture vénitienne, une palette éclaircie proche de celle de Lemoyne, ainsi qu’une mise en page solidement charpentée, héritée de Jouvenet”.
Entre dépouillement et effet
Sans nier l’originalité de son “art paradoxal mêlant dépouillement et effet”, trouvant son équilibre “entre l’emportement exalté des figures et leur disposition ordonnée”, Christine Gouzi admet que Restout a sans doute répété tout au long de sa vie “un répertoire de formes restreint” ; “mais ne peut-on en dire autant de tous les peintres de l’Ancien Régime ?” La longueur de sa carrière (près de cinquante ans), l’importance des commandes religieuses et profanes qu’il reçoit, n’auraient pas été telles, “s’il n’avait été qu’un suiveur de Jouvenet”. On le retrouve en effet aussi bien à l’abbaye de Saint-Denis qu’à Saint-Germain-des-Prés, à l’hôtel de Soubise qu’au palais royal de Stockholm ou à Versailles.
Non content de toujours rapporter la production de Restout à son environnement artistique, l’ouvrage s’attache à la restituer dans son contexte spirituel, marqué par le jansénisme, avec cette interrogation fondamentale : “L’engagement religieux et intellectuel de l’homme rejaillit-il sur son style ou ses choix iconographiques ?” Si Restout était sans conteste un “ami de la Vérité”, l’auteur se garde bien de généralisations hâtives. Certes, L’Apothéose de saint Augustin à l’abbaye Sainte-Geneviève (lycée Henri-IV, Paris) tient du manifeste à une époque où la querelle janséniste bat son plein, et nombre de ses commanditaires religieux à Paris et en province sont acquis à la cause ; en revanche, pas plus que pour Champaigne, son art ne peut être réduit à un improbable style janséniste. Même si le jansénisme, qu’on peut définir “par une fidélité plus grande aux stricts principes du christianisme, par une certaine austérité morale”, constitue un mode privilégié d’interprétation pour la décennie 1727-1737.
En s’attachant à définir l’originalité et l’importance de Jean Restout, cette monographie appelle d’autres études sur ce continent encore largement inexploré qu’est la peinture religieuse du XVIIIe siècle. Ne faudrait-il pas imaginer, à l’instar des “Amours des Dieux” en 1992, une vaste exposition sur ce thème ? L’Amour de Dieu ?
- Christine Gouzi, Jean Restout (1692-1768), peintre d’histoire à Paris, Arthéna, 511 p., 580 F. ISBN 2-903239-27-4.
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Enlevé et élevé à la fois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : Enlevé et élevé à la fois