Avec son ouvrage consacré à Daniel Templon, Julie Verlaine conte l’histoire de l’une des grandes galeries françaises et opère une inspection sociale, artistique et politique d’un demi-siècle de création(s).
Il est mille manières d’affronter la montagne. Certains, pour dire la polysémie des dernières décennies, préfèrent l’exhaustivité du dictionnaire quand d’autres optent pour le survol par l’anthologie. Certains arpentent les sillons de la chronologie quand d’autres plébiscitent la randonnée par l’essai. Elles sont nombreuses, et trop souvent scabreuses, les via ferrata qui traversent la densité. Prenant pour compagnon de cordée Daniel Templon, Julie Verlaine emprunte une voie vertigineuse, de celles qui permettent de surplomber le paysage et de mesurer le chemin parcouru. Et de prendre un peu de hauteur.
Publié chez Flammarion, le présent ouvrage, s’il encourait de multiples risques – du récit complaisant ou de l’apologie frivole –, déjoue les écueils et constitue une plongée passionnante en cette époque où les hommes fumaient des cigarettes et où les femmes montraient leurs seins, où les vernissages scandalisaient et où les ministres jubilaient, où les licences garantissaient des découvertes, et inversement.
UNE VIE
Épais, broché et de format moyen (16,5 x 23,3 cm), le livre héberge en première de couverture une photographie univoque : Daniel Templon, trente ans à peine, cheveux longs et épaisse cravate tachetée, scrute depuis son large bureau le photographe et, avec, le lecteur. Le regard ferme et le sourire retenu, le jeune galeriste est sûr de son fait, de ce qui lui arrive et de ce qui lui arrivera. Symétriquement, sur la quatrième de couverture une toile de Gérard Garouste représente le même modèle mais, cette fois-ci, les lunettes sont d’écaille, le crâne dégarni et le regard noir. Tout est plus sombre et plus tourmenté – l’expression du visage comme le ciel crépusculaire, digne de Greco. Entre ces deux images, une vie, et 480 pages.
Les onze chapitres de l’ouvrage se déploient chronologiquement en trois périodes (« Naissance », 1945-1972 ; « Croissance », 1972-1990 et « Expansion », depuis 1990). De cette courbe vitaliste, la section « déclin » est absente, sans qu’il s’agisse là d’une concession hagiographique : la galerie jouit d’un prestige certain qui retarde sans conteste son crépuscule. Rythmée, la scansion du livre permet une navigation fluide dans cette somme océanique que viennent conclure une liste des expositions (1966-2016), une bibliographie indicative et un index opportun. Tout y est, rien ne manque.
UNE ENQUÊTE
Le livre se distingue assurément par sa rigueur intellectuelle. Le récit, assorti de références précieuses et de notes savantes, revient minutieusement sur un contexte et explore des événements importants – l’ouverture d’une succursale à Milan en 1971, la rencontre fondatrice avec Leo Castelli en 1972, l’échec d’un projet de fondation. Convoquant des articles de presse contemporains, donnant la parole à des témoins incontournables – son ancienne compagne Catherine Millet, des artistes, des critiques –, Julie Verlaine saisit la trajectoire polyphonique de Daniel Templon et dresse une somme chorale au confluent de nombreuses voix, seule manière d’iriser la réalité et d’en approcher le caractère prismatique.
De même, concluant chaque chapitre, des entretiens avec le galeriste permettent de confronter les faits et les dires, les mots et les choses, de mesurer les distorsions, d’incarner un récit qui n’eût été sinon qu’une compilation trop sèche, de mener une véritable enquête, au sens sociologique du terme. Loyal et honnête, lucide et jamais pharisien, ainsi que le prouvent ses évocations d’Anselm Kiefer ou de Gérard Garouste, Templon décline avec élégance un parcours d’une richesse extravagante.
UN GOÛT
En 1968, le jeune galeriste, 23 ans, découvre à la Documenta de Kassel les œuvres pop de Jasper Johns et d’Andy Warhol comme celles, minimalistes, de Donald Judd et de Robert Morris. S’émancipant de l’orthodoxie parisienne, son plébiscite de l’art américain fait de Templon le découvreur d’un nouveau monde, jusqu’alors inconnu des Français. Ce tropisme transatlantique, encouragé par la revue Art Press, qu’il fonde en 1972 avec Catherine Millet, n’altérera pas pour autant les prospections européennes, celles qui le conduisent vers Bernar Venet, Francesco Clemente ou Anthony Caro.
Confidentielle, la galerie devient vite capitale. Les foires se multiplient, les Frac apparaissent et la spéculation dope un marché de l’art en plein essor. Templon devenu incontournable, il incarne l’aiguille du baromètre hexagonal, n’en vitupère pas moins contre un pays « irréformable », englué dans son « administration pléthorique ». Revenant sur la financiarisation de l’art, la concurrence débridée, les enjeux esthétiques et le rôle crucial des musées, l’ouvrage constitue une souveraine histoire du goût et élucide historiquement cette curiosité sémantique : le terme « galeriste » fit une entrée tardive dans le Petit Robert. C’était en 1981, à l’heure où Templon gravissait le sommet.
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Daniel Templon - Une histoire d’art contemporain
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Abonnez-vous dès 1 €Du 10 au 18 septembre 2016. Grand Palais, Paris-8e. www.biennale-paris.com
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Légende Photo :
Julie Verlaine, Daniel Templon. Une histoire d'art contemporain, Flammarion, 480p. 200 ill. 35 €
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : Daniel Templon - Une histoire d’art contemporain