Des écrits littéraires sont mis en regard d’un choix de sculptures occidentales dans un ouvrage publié aux éditions Citadelles & Mazenod.
Que l’on considère les Vite (1550-1568) de Vasari à la faible proportion de sculpteurs, ou L’Anthologie des écrits sur l’art (1952-1954) de Paul Éluard, dans laquelle la statuaire n’est évoquée qu’à de rares reprises, la conclusion est manifeste : les liens entre littérature et sculpture n’ont été que peu exploités jusqu’ici. La hiérarchie des arts a élevé la peinture au rang d’art suprême, devant laquelle la sculpture n’a pu que s’incliner. Face à cette « injustice », Sophie Mouquin, maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université Lille-III, et Claire Barbillon, maître de conférences à Paris-Ouest (Nanterre-La Défense) livrent aujourd’hui, avec Écrire la sculpture. De l’Antiquité à Louise Bourgeois, une somme remarquable d’écrits sur plus d’une centaine de chefs-d’œuvre sculptés, soigneusement sélectionnés.
Cadrages théâtraux
En limitant leur choix au monde occidental, les directrices de l’ouvrage offrent, au fil d’une chronologie étendue, une anthologie opulente, enrichie d’une iconographie abondante de grande qualité, selon les usages des éditions Citadelles & Mazenod. La large sélection de sculptures, couvrant une grande diversité de matériaux, techniques, styles et époques, se double d’une multiplicité de textes dont les rapports à l’œuvre sont pluriels, la nature littéraire éclectique et les auteurs de toutes obédiences. Poésies, essais, romans et comptes rendus critiques reflètent l’éventail des points de vue des hommes de lettres, entre descriptions méticuleuses, mode d’emploi pour la contemplation et emportements enthousiastes. Johann Wolfgang von Goethe s’attelle ainsi à éduquer le regard du spectateur face à la scène bouillonnante du Laocoon exécuté par un groupe de trois sculpteurs rhodiens du Ier siècle avant notre ère : « Afin qu’une œuvre d’art plastique s’anime vraiment lorsqu’on la contemple, il est nécessaire de choisir un moment transitoire ; un peu plus tôt aucune partie du Tout ne doit s’être trouvée dans cette posture, peu après chaque partie doit être contrainte de la quitter. » Certains textes ne sont pas dénués d’humour, à l’instar du long poème de Théophile Gautier, dédié à L’Hermaphrodite endormie du Musée du Louvre : « Pour faire sa beauté maudite, / Chaque sexe apporta son don. / Tout homme dit : C’est Aphrodite ! / Toute femme : C’est Cupidon ! » Ces morceaux choisis accompagnent de somptueuses illustrations qui mettent en scène la statuaire classique, romane ou moderne, dans un jeu d’ombre et de lumière, de cadrages souvent théâtraux pour mieux en éclairer la force vitale qui s’en dégage. Loin d’un ouvrage formé d’une simple juxtaposition texte/image, biographies succinctes d’artistes, postérité de l’œuvre et rappel de son contexte de création viennent nourrir la curiosité du lecteur, au fil d’un court texte introductif.
Baudelaire et Rilke
Écrire la sculpture constitue un travail inédit. Au fil des siècles, nombre d’ouvrages techniques sur la sculpture ont supplanté les écrits théoriques. En dépit de l’importance de l’ekphrasis antique (description minutieuse d’objets sculptés, élevée au rang de genre littéraire dans la Rome antique), ce n’est qu’au XIXe siècle que l’art de la taille fait sa grande réapparition dans le domaine des belles-lettres. Les textes d’écrivains consacrés au sujet foisonnent, en atteste la très grande majorité de citations d’auteurs de cette époque. Au-delà de Baudelaire, Chateaubriand, Rilke ou Vigny, ce sont aussi les artistes eux-mêmes, tels Rodin ou David d’Angers, qui prennent la plume.
D’autres érudits comme Victor Segalen, Voltaire, Goncourt ou Malraux instaurent un dialogue avec l’œuvre. Ainsi naît l’échange entre Eugène Ionesco et l’œuvre de Constantin Brancusi : « Figures au-delà du figuratif ; science et mystère ; dynamisme dans la pétrification ». Inspirés par la matérialité des pièces, leur présence physique dans l’espace, les écrivains donnent à toucher par les mots. Ce rapport à la matière vient interroger les formes, les textures et les ombres et éveille l’imaginaire tactile du lecteur. « De l’épiderme sur la soie / Glissent des frissons argentés / Et l’étoffe à la chair renvoie / Ses éclairs roses reflétés. » Ces vers de Théophile Gautier à propos de la Pauline Borghèse de Casanova (1805-1808) enrichissent à la fois la vision du spectateur et l’esprit du lecteur.
Claire Barbillon et Sophie Mouquin, Ecrire la sculpture, de l'antiquité à Louise Bourgeois, éd. Citadelles & Mazenod, 2011, 512 p., 189 €, ISBN 978-2-85088-342-2.
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Claire Barbillon et Sophie Mouquin, Ecrire la sculpture, de l'antiquité à Louise Bourgeois
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Claire Barbillon et Sophie Mouquin, <em>Ecrire la sculpture, de l'antiquité à Louise Bourgeois</em>