Quinze ans après l’exposition du Grand Palais, un album consacré au prince de la nature morte.
L’exposition Chardin, organisée par Pierre Rosenberg au Grand Palais en 1979, avait fait toute la lumière sur un artiste que l’historiographie avait souvent traité de seconde main. Celui qui fut avant tout connu comme "peintre d’animaux, de Batterie de Cuisine et de différents légumiers " s’est imposé comme l’un des peintres les plus fascinants du XVIIIe siècle.
Imprégné de peinture flamande et observateur attentif de l’art de ses aînés, Chardin était cependant un inventeur. Son exégète, Charles Nicolas Cochin, lui prêtait ces propos qui résument bien l’ambition de son projet : "Il faut que j’oublie tout ce que j’ai vu, et même jusqu’à la manière dont ces objets ont été traités par d’autres".
C’est bien sûr la célèbre Raie et le Buffet qui lui valurent l’estime immédiate de ses pairs, au premier rang desquels Largillière, qui ouvrira au jeune Chardin – qui n’avait pas suivi le cursus habituel de l’Académie – les portes d’une carrière officielle.
On sait que la nature morte était, dans la rigide hiérarchie des genres, au bas de l’échelle, et la représentation de l’homme au sommet. Chardin a su faire en sorte que ses contemporains considèrent ses œuvres comme des scènes de genre, par l’excellence de sa technique, sans doute, mais aussi par un investissement psychologique singulier dans ces objets quotidiens – leçon que ni Cézanne ni Morandi ne pourront oublier.
Si Diderot, à l’instar de tous les critiques de l’époque, reconnaissait la hiérarchie, il ne ménageait pas son enthousiasme pour ces tableaux policés et subtils : "Combien d’objets !, s’exclamait-il en 1765. Quelle diversité de formes et de couleurs ! Et cependant quelle harmonie ! Quel repos !"
La poétique de Chardin
Assez tôt, et sans doute à cause de la condescendance de certains jugements, il voudra ajouter d’autres cordes à son arc et s’essayer aux scènes de genre et aux portraits, avec un succès dont on a depuis pris toute la mesure, tant et si bien que ses autoportraits des dernières années sont devenus tout aussi emblématiques de son art que les natures mortes.
Les scènes de genre, où les jeunes femmes et les enfants gardent toujours des attitudes réservées, poursuivent la même poétique où triomphent le silence de la peinture et un mystère que la critique a toujours été embarrassée à expliquer. "On se sert des couleurs, disait Chardin, on peint avec le sentiment."
Le livre de Marianne Roland Michel, qui dirige la galerie Cailleux et a publié plusieurs livres sur le XVIIIe siècle, et notamment sur le dessin français, remet à plat toute la carrière du peintre, suivant d’abord la chronologie, traitant ensuite des thèmes. On y retrouve toutes les informations essentielles sinon à la compréhension, du moins à la connaissance de l’artiste et de son œuvre. Un catalogue raisonné des gravures d’après Chardin et une fortune critique complètent cet ouvrage qui fait la part belle aux illustrations.
Marianne Roland Michel, Chardin, Éditions Hazan, 320 p., 250 ill., 690 F, prix de lancement jusqu’au 15 janvier.
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Chardin d’après nature
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : Chardin d’après nature