Lorsque constructions militaires et civiles se muent en œuvres du land art.
Les monographies d’architectes d’hier et d’aujourd’hui se multiplient à un tel rythme, que force est de constater que l’architecture est devenue un produit éditorial tout aussi porteur que d’autres.
À tout seigneur tout honneur : en cette année 2007, anniversaire du tricentenaire de sa mort, l’œuvre du Maréchal de Vauban (lire ci-dessus) est présentée par la France pour être classée, dans sa totalité, au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.
Trois historiens militaires se sont unis pour composer un ouvrage documenté, articulé, dont les mises en perspectives sont nombreuses et judicieuses. Mais c’est dans la brève préface de Jean Nouvel que l’on trouve une clé subtile pour pénétrer l’œuvre du divin maréchal. En témoigne cette phrase : « Immense artiste du land art avant l’heure : ses dispositifs sont inscrits en profondeur dans les plaines, les rocs à tel point qu’il ne peut y avoir de ruines romantiques de Vauban à la Hubert Robert ».
Land art, le grand mot est lâché. Voici que se dessine, dès lors, le portrait de l’architecte en artiste.
Un portrait que ne dément pas Jean-Louis Cohen, historien rigoureux de l’architecture qui intitule l’un des chapitres de son Mies van der Rohe « La stèle du Seagram », l’un des gratte-ciels les plus époustouflants de l’architecte germano-américain, édifié à New York.
Et il est vrai que les formes en étoile du premier, les lignes pures entrecroisées du second, composent bien autre chose que de simples bâtiments.
Il s’agit chez l’un et l’autre, architecture militaire et civile mêlée d’une discipline portée à son acmé, d’une écriture dominée et non pas simplement d’une technique maîtrisée.
Dans son excellent ouvrage À ciel ouvert (Scala, 1999), notre collaborateur Christophe Domino écrit : « Parce qu’elles opèrent à l’échelle du paysage vécu, les œuvres du land art permettent que l’on rouvre la question dans sa multiplicité d’enjeux et d’interrogations : du côté anthropologique puisque le paysage ne cesse de révéler son habitant, et du côté des moyens de la vision et de la représentation, puisqu’il n’existe pas sans celui qui le regarde… Il est en tout cas un phénomène qui appartient à l’histoire, puisqu’on peut y voir une expression directe que l’homme se fait de sa place dans le monde… » On ne saurait mieux qualifier ces architectures paysages qui n’ont, bien sûr, rien à voir avec les rêves de meulières des « écolo-pavillonnaires » ni avec les normes sans souffle de la HQE (Haute Qualité Environnementale) tout aussi efficace qu’un pacte « hulotien ».
Nouvel et Cohen, tous deux architectes, l’un praticien, l’autre théoricien, font bien, chacun à leur manière, apparaître cette dimension indicible de l’architecture, non mesurable, non quantifiable, à peine qualifiable, que l’on nomme parfois le talent, voire le génie. Une dimension que d’autres
architectes que Vauban ou Mies van der Rohe atteignent, à l’instar du Suisse Peter Zumthor (d’ailleurs lauréat du Prix Mies van der Rohe en 1999) avec ses Thermes de Vals dont on ne sait si lui aussi ne les a pas creusés dans la montagne, façonnés dans la roche, sculptés dans le gneiss, modelés avec l’eau… Plus encore qu’à ce bâtiment, déjà devenu une icône, c’est à la symbolique que s’intéresse cet ouvrage, à la sensation, au sentiment, à l’adéquation, la réflexion, la pensée, l’indicible. C’est-à-dire à l’art, donc à l’architecture.
Trois architectes du topos, attachés au dépouillement, à la sobriété, à l’abrupt, à l’abstrait. À l’essence.
- Martin Barros, Nicole Salat, Thierry Sarmant, Jean Nouvel Vauban, l’intelligence du territoire, 175 p., éditions Nicolas Chaudun, 45 euros, ISBN 2-35039-028-4. - Jean-Louis Cohen, Mies van der Rohe, 191 pages, éditions Hazan, 39 euros, ISBN 978-2-8502-5992-0. - Peter Zumthor et Sigrid Hauser, Peter Zumthor, Therme Vals, 192 pages, éditions Infolio, 68 euros, ISBN 2-88474-572-6.
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Brelan d’as
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Brelan d’as