Livre

Bertrand Tillier : « La question de l’imitation hante l’histoire de la peinture »

Par Itzhak Goldberg · L'ŒIL

Le 22 avril 2024 - 482 mots

Votre livre s’inscrit dans une collection sur les grands mouvements de l’histoire de l’art : L’Impressionnisme, L’Abstraction, etc. Pour ce volume, on aurait pu, exceptionnellement, utiliser le pluriel en titrant Les Réalismes...

J’y ai pensé mais j’ai finalement abandonné cette idée, parce qu’au XIXe siècle, bien avant que Gustave Courbet (1819-1877) n’hypothèque le terme, le mot est invariablement utilisé au singulier et avec une majuscule, comme s’il constituait une bannière ou, au contraire, une illusion vaine. En tout cas, dès le manifeste de Courbet, le terme est chargé d’une multitude de significations parfois contradictoires, ce qui indique la pluralité de ce concept.

Le réalisme est-il un style véritablement subversif ? Est-ce de la responsabilité de Courbet ?

Gustave Courbet s’est emparé du réalisme, pour laisser croire qu’il en serait l’inventeur. Mais ­Baudelaire, lucide et ironique comme toujours, écrit : « Puisque réalisme il y a... » C’est une façon de rappeler que le réalisme a partie liée avec la mimesis, et que la question de l’imitation hante l’histoire de la peinture depuis ses débuts. Ce que Courbet a apporté au réalisme, c’est sa valeur transgressive, en le tirant d’une part vers la politique (le socialisme, la révolution) et d’autre part vers la vérité (au détriment du beau). En utilisant des codes, des sujets et des formes qui empruntent à la charge caricaturale – ce qu’un critique comme Théophile Gautier a clairement identifié pour Un ­enterrement à Ornans (1849-1850) –, il a dépassé l’académisme et proclamé son indépendance d’artiste face au régime de Napoléon III, qu’il exècre.

Peut-on faire une distinction précise entre le réalisme et le naturalisme ?

La distinction est délicate à établir. Mais elle a existé au XIXe siècle. Ce sont Jules-Antoine Castagnary et Émile Zola qui ont théorisé et diffusé cette notion : une conception moins critique de la peinture que ne l’avait été le réalisme de Gustave Courbet ou de Jean-François Millet. Le naturalisme, en effet, est une peinture plus analytique dans ses sujets, qui ont trait à la vie sociale, rurale ou urbaine, et dont les formes sont tempérées parce qu’à compter des années 1880, elles intègrent les leçons plastiques d’un impressionnisme assagi. Je pense à la peinture d’Alfred Roll, d’Henri Gervex ou d’Émile Claus.

Votre but était « d’embrasser et d’interroger l’histoire du réalisme quoiqu’elle demeure fuyante à bien des égards » : l’avez-vous atteint ?

En 1908, dans ses Promenades d’un artiste au musée du Louvre, le peintre Jean-François Raffaëlli écrivait que « le réalisme fut un mot énorme et faux comme un rocher de théâtre ». C’est ce genre de déclaration que j’ai voulu fissurer, pour essayer de voir ce qu’occultaient les propos réducteurs attachés à ce mouvement. Je crois que le livre parvient à montrer que si le réalisme est hétérogène, il est aussi d’une grande richesse dans un XIXe siècle où cette esthétique s’internationalise, dans toute l’Europe et jusqu’aux États-Unis, à la faveur de la circulation des œuvres et des artistes.

À LIRE
« Le Réalisme », Bertrand Tillier,
collection L’Art en mouvements, Citadelles & Mazenod, 400 p., 300 ill., 199 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°775 du 1 mai 2024, avec le titre suivant : Bertrand Tillier : « La question de l’imitation hante l’histoire de la peinture »

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