Noir, homosexuel et vraisemblablement schizophrène, voilà qui faisait beaucoup de « handicaps » à Beauford Delaney pour passer à la postérité.
Pourtant reconnu dans son pays, il aura fallu que le peintre traverse l’Atlantique à la recherche des racines de l’art américain pour trouver sa propre identité. Né au début du XXe siècle dans l’État raciste du Mississippi, d’un père pasteur et d’une mère ancienne esclave, il est pris sous la protection d’une gloire locale de la peinture qui, bien que blanc et ségrégationniste, voit en lui le magnifique artiste qu’il va devenir, et lui transmet son savoir et une partie de sa fortune. Delaney se forme, prend de la distance avec son Sud natal, part à Boston puis à New York à la fin des années 1920, où il approche de près le mouvement Harlem Renaissance. Le jazz s’invite dans ses toiles comme dans son travail. Admirant les musiciens, il a l’habitude de comparer l’élaboration de leur musique avec la façon dont, inlassablement, il fait, défait, refait ses toiles, parfois pendant plusieurs années. Fréquentant les clubs de Harlem, qui sont les lieux branchés de l’époque, c’est à New York qu’il immortalise les musiciens : Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie jouent les modèles… Parfois, c’est sur le vif qu’il saisit le jazz en train d’écrire sa légende. C’est aussi à New York qu’il rencontre celui qui va devenir son ami le plus fidèle, et le compagnon de ses derniers mois parisiens, alors qu’interné à l’hôpital Sainte-Anne il sombre définitivement dans la folie. « C’est par Beauford Delaney que j’ai découvert la lumière, la lumière que contient chaque chose, chaque surface, chaque visage », écrit James Baldwin. L’écrivain frappe à la porte de l’atelier du peintre à Greenwich Village en 1940. Il n’a pas 16 ans. Il est noir, comme lui. Homosexuel, comme lui. Fils de pasteur, comme lui. Delaney s’impose rapidement comme une nouvelle figure paternelle. Le jeune Baldwin se laisse peindre. Il entraîne le peintre dans les folles nuits du Village, mais aussi dans sa lutte enragée pour les droits civiques. Puis il part s’installer en France. En 1953, Beauford Delaney le rejoint. Il laisse intact son atelier new-yorkais, pensant y revenir vite. Mais c’est à Paris qu’il choisit de poursuivre sa vie et de s’essayer à l’abstraction, qui fait sa renommée de ce côté-ci de l’Atlantique. C’est aussi à Paris qu’il trouve « un anonymat et une objectivité [lui permettant] de laisser émerger de vieux souvenirs […]. Des souvenirs de chagrins longtemps enfouis, et la beauté du difficile effort de libérer et orchestrer en formes et couleurs un dessin personnel. Être en France [lui] donne le temps de la réflexion. On ne quitte jamais sa maison si l’on n’y a jamais été. »
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Beauford Delaney, la lumière et le jazz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Beauford Delaney, la lumière et le jazz