Puisant dans sa culture religieuse, Belting poursuit ses recherches sur la fabrique et le sens des images. Avec cette question : faut-il croire aux images ?
Hans Belting est décidément un historien de l’art singulier. Après avoir prédit, dans un ouvrage resté célèbre, L’histoire de l’art est-elle finie ? (1), la fin d’une discipline qu’il a pourtant enseignée dans les meilleures universités allemandes mais aussi au Collège de France, à Paris, il continue d’en explorer les chemins de traverse en poursuivant ses recherches sur la question de l’image. En 2001, Belting publiait déjà chez Gallimard Pour une anthropologie des images, traduit en français en 2004, qui amorçait sa réflexion interdisciplinaire sur le sujet. L’historien de l’art s’y affranchissait ouvertement de la méthodologie d’une discipline qui avait toujours privilégié l’étude ontologique des images. À leur étude pour leur seule valeur, il préférait une mise en perspective avec les phénomènes sociaux et religieux. Dans cette nouvelle publication, touffue et érudite, Belting prolonge cette démarche, tissant des liens avec des phénomènes contemporains – conséquence de sa participation active à la création du Centre d’art et de technologie audiovisuelle (ZKM) de Kalrsruhe, en Allemagne, ouvert en 1993 ? Il tâche notamment d’analyser le pouvoir des images pour dénoncer les nouveaux phénomènes d’idolâtrie. « La consommation des images met si nettement à jour les rapports de pouvoir dans notre société, écrit-il, que, paradoxalement, les images témoignent d’une vérité indéniable : leur apparence manifeste est le portrait de la société réelle. »
L’auteur mobilise sa vaste culture artistique, synthétisant de longues années de recherches sur l’image chrétienne pour mieux démontrer à quel point les réflexions sur le sujet ont une portée actuelle. « Qu’est-ce qu’une vraie image ? », interroge d’emblée Belting, si ce n’est une image dont nous attendons qu’elle nous montre la vérité et donc à laquelle nous croyons. « Les images sont utilisées comme des fenêtres sur la réalité. Mais comme notre compréhension de la réalité change sans cesse, ce que nous exigeons des images se modifie aussi », poursuit-il. Malgré les soubresauts historiques de l’iconoclasme, la persistance de notre foi dans les images témoigne de l’importance des racines religieuses de notre culture visuelle. Le rapport à l’image appartient donc toujours au registre de la croyance.
Dans ce long mouvement historique, Belting identifie deux grands moments. À la fin de l’Antiquité, tout d’abord, lorsque le christianisme monte en puissance et que les théologiens se heurtent à une première difficulté. Comment représenter un Dieu unique tout en condamnant l’idolâtrie des païens ? La double nature du Christ leur offre alors une solution bien commode : la figure de Jésus permet de représenter un Dieu qui, lui, ne s’est jamais montré aux hommes. L’auteur s’attarde longuement sur la question du masque. Sur le voile de sainte Véronique, un thème repris par de nombreux peintres, le visage du Christ est représenté telle une empreinte qui aurait été prétendument modelée de son vivant par le Christ. « Dans ces impressions textiles, le masque attendait en quelque sorte que son vrai visage revienne un jour en prendre possession. » C’est le mythe de l’image religieuse non peinte, proche du concept de la relique, ou « l’image authentique » selon les termes de Belting. « Le corps en définitive irreprésentable du fondateur de la religion chrétienne a conduit à un dilemme dans la compréhension européenne du corps, dilemme qui s’est perpétué jusque dans une culture entre-temps sécularisée. » Le deuxième temps fort est celui de la Réforme. L’image religieuse, critiquée par les protestants, suscite dès lors un retour au livre et donc au signe au détriment de l’image. La caricature luthérienne qui se répand grâce à la gravure pose évidemment la question de la vraie image. Car la caricature n’est-elle pas ce masque qui permet de figurer en déformant la réalité physique ?
(1) éd. Jacqueline Chambon, 1989.
Hans Belting, La vraie image. Croire aux images ?, trad. Jean Torrent, éd. Gallimard, 282 p., 35 euros, ISBN 978-2-07-078160-7.
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Aux sources de l’idolâtrie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Aux sources de l’idolâtrie