Une légende enfantine mille fois répétée prétend qu’au pied de tout arc-en-ciel, à la faveur des pinceaux conjugués du soleil et de la pluie, se révèle un trésor merveilleux.
Souvent symbolisé par un chaudron de cuivre rempli à ras bord de pièces d’or et de rubis et sur lequel veille jalousement un lutin, sa quête s’avère impossible, évidemment. Pour qui court après l’or, l’arc-en-ciel se dérobe. Il se replie, se déplace avec lui. Il bondit dans le décor à travers champs et derrière les montagnes. On peut tendre les mains, l’attraper s’avère vain. Plus on le poursuit et plus il s’enfuit. Car c’est lui qui vous attrape. C’est à celui qui sait rester sur place que l’arc-en-ciel offre sa fortune. Issu d’un phénomène physique de réfraction lumineuse dans les gouttes de la pluie, l’arc coloré est une forme d’illusion optique qui n’existe que pour l’œil de celui qui la regarde. Chacun en perçoit la même manifestation, mais en voit un arc différent, tout à fait unique et personnel, toujours situé dans le même angle opposé au soleil. Chez tous, pourtant, l’arc bandé du ciel vers chacun d’entre nous pointe la même cible, le même centre, la même base. Le véritable pied de l’arche, l’axe qui la soutient tout entière, demeure alors à rechercher quelque part derrière la cornée de nos yeux, à mi-chemin de notre faculté de voir et de celle d’imaginer. Il y met en lumière par là même notre trésor le plus fabuleux. Ainsi, de cette légende, tout ce qui est inventé est résolument vrai. Elle nous incite à cultiver le pouvoir de notre vision. Si, de par le monde, tout trésor s’invente, il y a dans le sentiment de surprise qu’il provoque l’étincelle de la révélation d’une vérité cachée. C’est que tout trésor qui se respecte caresse en nous une fracture. Délicieuse. Douloureuse. Une ligne qui départage les deux sens irréconciliables du terme « valeur ». D’un côté, le titre, la stature, le calibre, le prix, la fonction, le poids ; de l’autre, la force, le cœur, l’âme, le sens, la nature, la trempe. Un versant quantifie l’avoir, l’autre qualifie l’être. En suivant cette ligne de démarcation, on peut traverser le roman attachant de Marie Lebey, son écriture poétique, son enquête passionnante et ses moments empreints de surréalisme, et peut-être au cœur de la question, s’y demander comme Serge Tisseron, « Comment l’esprit vient aux objets ? ». Car tout ce qui fait la valeur d’une œuvre est contenu dans la direction du regard qui se pose sur elle. Une forme d’illusion optique qui n’existe que pour l’œil de celui qui la regarde. Et sa fréquentation nous octroie en retour notre propre valeur par celle que nous lui attribuons.
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Art-en-ciel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Art-en-ciel