Les anciennes colonies européennes et françaises recèlent d’un riche patrimoine bâti, témoin de son histoire. Les recherches dans ce domaine n’ont débuté que dans les années 1990.
Compilant les interventions prononcées lors de tables rondes organisées ces dernières années par l’Institut national du patrimoine à Paris, deux volumes abordent un champ encore largement méconnu du patrimoine bâti : l’architecture coloniale, qui est ici envisagée dans la sphère française, puis européenne. « L’architecture coloniale – stricto sensu –, comprend la construction des édifices et des ensembles urbains conçus et réalisés par un gouvernement européen à l’époque de sa domination sur un territoire étranger », explique Bernard Toulier, conservateur en chef du patrimoine, en introduction au premier volume. Il aura toutefois fallu attendre les années 1990, soit une génération après la décolonisation, « le temps de la mémoire de deuil », pour que les spécialistes se penchent au chevet de ce bâti. Auparavant, les lacunes et l’éparpillement des sources archivistiques avaient fait reculer plus d’un historien, alors qu’une absence de reconnaissance de ce patrimoine, parfois encore ressenti comme un symbole de domination et d’oppression dans les pays concernés, rendait le sujet sensible. « La prise de conscience dépend du degré d’assimilation de la strate historique de la colonisation : elle exige une distanciation et un recul nécessaire pour l’ écriture d’une nouvelle histoire », précise Bernard Toulier. De l’Afrique Noire au Maghreb, du Vietnam à l’Amérique latine, où Buenos Aires fut un formidable creuset d’influences européennes, en passant par le Proche-Orient – le cas de Bagdad est présenté sous la plume d’Ihsan Fethi, conservateur général des musées d’Irak –, ces textes permettent de mesurer l’originalité d’une architecture qui ne s’est jamais cantonnée à la simple exportation de modèles européens. Elle y apparaît plutôt comme le fruit de savants métissages et d’hybridations étonnantes, véhiculant les valeurs occidentales tout en puisant dans les styles indigènes, s’adaptant aux spécificités climatiques, dans l’esprit de l’éclectisme en vogue au début du XXe siècle. Si les matériaux vernaculaires sont fréquemment employés, les colonies ont aussi constitué le débouché privilégié des produits manufacturés des colonisateurs. En 1913, 69 % de l’acier fabriqué en France a ainsi été employé pour la construction métallique dans les colonies ! Ces territoires exotiques ont aussi constitué un terrain propice aux expérimentations. Le texte de Martin Meade, professeur à l’École spéciale d’architecture de Paris, révèle l’origine du bungalow, dérivé d’un habitat rural du Bengale, importé en Angleterre dans les années 1870 avant d’être réexporté vers les banlieues américaines. Les maisons de la culture, construites dans l’Hexagone dans les années 1960, trouveraient pour leur part leur origine dans un projet de « centre de rayonnement culturel » commandé en 1959 à Le Corbusier. Un établissement de ce type devait être construit dans chaque capitale d’outre-mer, le Palais de la Porte Dorée, à Paris, constituant leur tête de pont. Le projet, dont le dessin aurait séduit André Malraux, fut finalement abandonné, avant que l’idée ne soit reprise, quelques années plus tard, en métropole.
- Architecture coloniale et patrimoine, expériences européennes, Acte de la table ronde organisée par l’Institut national du Patrimoine, 2007, collectif, 246 p., éd. INP / Somogy, 42 euros, ISBN 2-85056-975-5 - Architecture coloniale et patrimoine, l’expérience française, Acte de la table ronde organisée par l’Institut national du Patrimoine, 2005, collectif, 191 p., éd. INP / Somogy, 38 euros, ISBN 2-85056-824-4
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Architectures métisses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Architectures métisses