Les ventes de fin juin et début juillet chez Christie’s (30 juin-1er et 8 juillet) et Sotheby’s (29 juin et 6 juillet) ont enregistré des résultats mitigés, malgré un regain d’intérêt pour les gravures modernes, avec un nouveau record pour une œuvre de Picasso, et la revanche de Sotheby’s sur Christie’s dans le domaine des tableaux anciens.
LONDRES - S’il est trop tôt pour prédire un retour aux niveaux atteints à la fin des années 1980 par les gravures modernes, on peut se réjouir de l’enthousiasme qu’elles ont suscité chez Sotheby’s et Christie’s à la fin juin. La vente Sotheby’s de gravures anciennes et modernes, plus modeste qu’à l’accoutumée, mais avec des œuvres mieux conservées et moins routinières que ces dernières années, a totalisé 2,58 millions de livres, frais compris (21,4 millions de francs) pour 652 lots, soit 67 % des lots vendus et 70 % en valeur.
Chez Christie’s, le produit s’élevait à 1,98 million de livres frais compris (16,4 millions de francs), en y incluant un important lot invendu mais qui a trouvé preneur à l’issue de la vente publique ; ce chiffre représentait 68 % des lots, 77 % en valeur. La maison proposait séparément des lithographies de Daumier : 43 % des lots sont partis pour 237 000 livres frais compris (1,970 million de francs), soit 61 % en valeur.
Les deux maisons ont pu constater un regain de confiance en faveur des œuvres de Picasso : chez Sotheby’s, le 28 juin, cinq d’entre elles figuraient parmi les dix prix les plus élevés. À leur tête, la Minotauromachie de 1935, offerte par le peintre à Hugh Willoughby en 1936 : cette pièce, d’un intérêt secondaire parce que solidement fixée au support et recouverte d’une inscription de la main de Picasso, ne pouvait retenir l’attention d’acheteurs japonais mais n’en a pas moins obtenu une offre de 460 000 livres (3,8 millions de francs), inférieure à l’estimation de 500 000 à 700 000 livres, de la part de Wolfgang Wittrock, marchand de Düsseldorf.
En deuxième place venait l’une des grandes gravures caractéristiques du style de Rembrandt : imprimée sur japon avec d’importantes marges, en parfait état, l’estampe des Cent gulden est allée à un collectionneur américain pour un prix extrêmement élevé : 200 000 livres (1,660 million de francs), contre une estimation de 200 000 à 250 000 livres. On avait vu cette impression délicate aux tons doux mais un peu éteints à la fin des années 1960 chez Sotheby’s, lors de la vente de l’expert en gravures Gordon Nowell-Usticke.
Le 30 juin, Christie’s de son côté, plus chanceuse encore, proposait une pointe-sèche des Trois Croix (quatrième état) de Rembrandt qui, restée invendue à 150 000-200 000 livres, a trouvé preneur à 120 000 livres (1 million de francs) avant la fin de la matinée. Mentionnons parmi les succès des gravures anciennes, le prix payé par Artemis pour une excellente impression de la Vision d’Ezéchiel, de Ghisi : 26 000 livres, contre une estimation de 8 000 à 12 000 livres. Les dix-huit volumes de gravures de Piranèse, soit la presque totalité de l’œuvre, malheureusement dans des éditions françaises tardives, ont atteint 82 000 livres (665 000 francs) ; ils étaient estimés à 60 000-80 000 livres.
Du côté des modernes, le 1er juillet on remarquait plusieurs œuvres intéressantes. Estimé entre 60 000 et 70 000 livres, un Vampire de Munch colorié à la main est parti pour 65 000 livres (535 000 francs). La série d’esquisses de Whistler, qui comptait parmi les œuvres les plus remarquables de la vente, a largement dépassé les espoirs : parmi les vues de Venise, Nocturne : palais, exceptionnellement imprimée en couleur (brun), a atteint 27 000 livres, contre une estimation basse de 8 000-12 000 livres, tandis qu’une gravure similaire, Nocturne : La Salute, partait pour 23 000 livres.
Les traditionnelles et toujours très attendues ventes de tableaux anciens du début juillet ont déçu au vu de leurs succès récents. Elles marquaient cependant la revanche provisoire de Sotheby’s, avec un produit total de 85,75 millions de francs, sur Christie’s (48 millions). Quelques œuvres miraculeusement conservées et jamais vues sur le marché faisaient la différence. Le 6 juillet, Sotheby’s proposait en effet une toile de jeunesse dans le goût maniériste de Albert Cuyp, Orphée charmant les animaux (34,3 millions de francs), une nature morte de fleurs de Rachel Ruysch (environ 8,6 millions de francs), un panneau de Osias Beert (6,86 millions de francs), et une riche peinture d’un intérieur de Pieter de Wit, le Portrait de Dirck Wilre dans le château d’Elmina (6,86 millions de francs).
Les œuvres flamandes et hollandaises continuent de déterminer le succès des enchères et Sotheby’s était visiblement aguerrie dans ce domaine ; de plus, le marché privilégie toujours les œuvres décoratives, comme celles proposées en juillet. Enfin, il faut souligner que quelques lots à peine garantissent la réussite d’une vente : les quatre tableaux cités dépassaient à eux seuls le produit total de Christie’s. Le pourcentage d’invendus, qui s’élevaient en juillet à 40 %, correspond entre autres à la raréfaction d’œuvres vraiment importantes, dont les prix deviennent imprévisibles. On assiste ainsi à des regroupements d’acheteurs dans le but de contrôler ces prix : ainsi le Cuyp est allé à un cartel qui réunissait, pour l’occasion, des acteurs du marché comme Johnny Van Haeften de Londres, Otto Naumann de New York, Konrad Bernheimer de Monaco et le groupe d’investissement londonien Artemis.
Seule ombre à la vente de Sotheby’s, l’échec annoncé de L’Immaculée Conception, dont l’attribution à Vélasquez avait déclenché une polémique (JdA n° 4, juin), toile peu significative, surestimée à presque 68,6 millions de francs. Elle partait avec un lourd handicap : affiché à ses côtés, un mot de Alfonso Perez Sanchez, ancien directeur du Prado et autorité en matière de peinture espagnole du XVIIe, estimait qu’il pouvait s’agir d’une œuvre de jeunesse de Alonso Cano.
Christie’s enregistrait de son côté un succès escompté pour deux merveilleuses compositions de fruits et de fleurs de Jan Van Huysum (environ 6,86 millions de francs chacune) et de bons résultats pour des peintures italiennes qui comptaient parmi les plus intéressantes de cette semaine de ventes, la Madone de l’humilité, du maître anonyme proche de Lorenzo Monaco et Masolino, connu comme le Maestro del tondo Carrand (4,120 millions de francs), et Isaac bénissant Jacob (3,3 millions de francs), panneau datant d’environ 1570 et empreint de nostalgie pour la grande manière florentine, que l’on doit à Mirabello Cavalori, un des peintres du Studiolo de François Ier de Médicis.
1. Pieter de Wit, Portrait de Dirck Wilre dans le château d’Elmina, huile sur toile, vers 1669, 103,2 x 141,4 cm, Sotheby’s, Londres, 6 juillet, (Est. £ 300 000-400 000), vendu £ 740 500, 6 140 000 F.
2. Mirabello Cavalori, Isaac bénissant Jacob, panneau datant d’environ 1570, 58 x 43,5 cm, Christie’s, Londres, 8 juillet, (Est. £ 70 000-100 000), vendu £ 397 500, 3 300 000 F.
3. Anonyme connu sous le nom de Maestro del tondo Carrand, La Madone de l’humilité, vers 1430, tempera sur panneau à fond doré, 72,5 x 51,5 cm, Christie’s, Londres, 8 juillet, (Est. £ 250 000-350 000), vendu £ 496 500, 4 120 000 F.
4. Piranèse, Dix-huit volumes de gravures, Christie’s, Londres, 30 juin-1er juillet, (Est. £ 60 000-80 000), vendu £ 82 000, 665 000 F.
5. Edvard Munch, Vampire, lithographie, 1895, 38,8 x 55,8 cm, Christie’s, Londres, 30 juin-1er juillet, (Est. £ 60 000-70 000), vendu £ 65 000, 535 000 F.
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Ventes estivales en demi-teinte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Ventes estivales en demi-teinte