Le transport d’œuvres d’art est encore dominé par les champions nationaux. Les places sont chères et les grands groupes internationaux testent prudemment le marché français
L’ expression « clou à clou » est éloquente : même si elle n’évoque rien, elle donne immédiatement un aperçu du métier de transporteur d’art, qui recouvre divers types de compétences depuis le décrochage d’une œuvre jusqu’à son nouvel accrochage, ailleurs. Le cliché des doigts de fée greffés sur un physique de déménageurs n’est pas faux : manutention, emballage, menuiserie de précision, transport, logistique, sécurité, accrochage, activités auxquelles s’ajoute un service administratif important (commission en douanes, transit, etc.), constituent le quotidien de ces spécialistes de l’envers du décor. Le prix de leurs prestations est calculé en « temps homme » (organisation, administration, convoyeurs), en coûts de fret classiques (coût au kilomètre, volume et poids de chargement), et pour une large part en frais d’emballage. Les caisses les plus sophistiquées, réalisées sur mesure et maintenant une température constante, conçues pour transporter un Rembrandt autour du monde, coûtent plusieurs milliers d’euros, et davantage encore dans le cas d’œuvres monumentales. Mais entre photographies et sculptures, entre un trajet local de l’atelier à la galerie et une exposition internationale itinérante, les missions varient fortement, délimitant plusieurs segments de marché, occupés par des acteurs distincts.
Un duopole leader
Deux noms se partagent la tête du marché français : Chenue SA (Paris) et LP-Art (Montreuil). Chez LP-Art, l’essentiel de l’activité des 196 salariés se concentre sur les grands musées parisiens. Comme pour son concurrent, son chiffre d’affaires annuel oscille entre 30 et 35 millions d’euros. Chenue, de deux siècles son aîné, se présente comme l’ancien layetier royal de Marie-Antoinette, soit l’homme chargé à l’époque du transport de ses toilettes. La société, qui emploie un peu plus de 200 salariés (dont 70 attachés au seul service de Drouot, depuis qu’ils y remplacent les « cols rouges »), a étoffé son activité au-delà des grands musées français. En ciblant les grandes galeries, en investissant dans le stockage et en rachetant de petits concurrents très spécialisés, Chenue témoigne des enjeux actuels du secteur : l’internationalisation, et avec elle la concentration, comme dans tous les marchés où un nombre important d’acteurs sont présents. La concurrence internationale au sens propre reste limitée dans le transport d’œuvres d’art, où la tradition veut qu’un prestataire national soit toujours sollicité en sous-traitance par un confrère étranger lors de l’enlèvement d’une œuvre dans son pays. Par ailleurs, les rachats purs, tel celui de l’espagnol TTI par le français Bovis (Fleury-Mérogis) en 2013, sont rares. L’internationalisation est plus marquée sur le plan actionnarial. L’allemand Hasenkamp, leader européen du secteur, avance ainsi ses pions entre participations croisées, y compris en France, et fortification du « réseau » européen qu’il met en avant, pour concurrencer l’américain Masterpiece, considéré comme le numéro un mondial.
Diversification face à la concurrence
En France, une poignée de sociétés tentent de grappiller des parts de marché au duopole leader, avec un chiffre d’affaires compris entre 2 et 6 millions d’euros. Bovis ou Crown Fine Art ont en commun d’appartenir à un grand groupe initialement non spécialisé, tout en ayant gagné 80 à 90 % de leur clientèle dans les grands musées. D’autres comme Cadogan Tate, à Londres, ou Transart (Paris) s’appuient plus sur les maisons de ventes, les particuliers et les galeries. Trasexpo (Argenteuil) ou l’historique Léon Aget (Marseille) disposent, eux, d’un portefeuille clients varié. Quelques historiques du métier, comme TMH (Saint-Ouen-l’Aumône), ont diversifié leur activité, l’élargissant à l’événementiel, devant la contraction de l’offre, la concurrence étrangère (en particulier venant de la Pologne) ou l’arrivée d’acteurs non spécialisés mais se reposant sur un réseau et une logistique de grands groupes (Crown, Bovis, voire Gondrand). Dans cette logique, quelques grands groupes mondiaux généralistes, à l’exemple de Clasquin (234 millions d’euros de chiffre d’affaires), testent ce marché de niche en rachetant de petits acteurs spécialisés comme Art Shipping (4 salariés). Mais les coûts d’entrée sont élevés.Le marché est-il suffisant, à l’heure où les budgets des grands musées s’étiolent, tirant les prestations à la baisse ? Sur le segment principal, il représente une centaine de millions d’euros, que se partagent une douzaine d’acteurs à plus de 2 % de part de marché. Mais la frontière est floue entre des prestations à très haute technicité d’un côté et des frets de petites pièces peu fragiles de l’autre. Or, sur ce segment, une multitude de petits acteurs à peine spécialisés constituent une concurrence innombrable : chaque galeriste a son petit fret pour les urgences locales ! Cette activité élargirait sans doute le périmètre global jusqu’à 300 millions d’euros.
Entre un segment supérieur très fermé, stable voire décroissant, et un périmètre large plus rentable pour des micro-entreprises, le marché du transport d’œuvres d’art se trouve dans une certaine tension, qui devrait accélérer la recomposition en cours.
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Un secteur en recomposition
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Un secteur en recomposition