Adopté le 9 avril en Conseil des ministres, le projet de loi de réforme des ventes aux enchères publiques en France est la première étape d’une métamorphose du marché de l’art. À 245 jours de l’ouverture du marché, ce texte très attendu suscite des réactions diverses.
PARIS. La dissolution de l’Assemblée "va tout retarder", regrette Me Gérard Champin, président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, qui "espère que le nouveau gouvernement fera preuve d’une vigueur certaine pour rattraper ce retard." Réagissant aux déclarations du ministre Jacques Toubon au Journal des Arts, Me Champin affirme qu’"il est impossible de faire l’économie de la réflexion sur l’incidence, à l’extérieur de l’Europe, d’une TVA à 5,5 % car il peut y avoir un risque de détournement du trafic vers la Suisse et les États-Unis". Le droit de suite est "à préserver à 3 % pour les œuvres peu chères et à ramener à 1 % pour les plus élevées", afin d’éviter les risques de délocalisation. Cependant, estime-t-il, "l’absence de droit de suite aux États-Unis n’a pas empêché les musées américains de s’enrichir de donations". L’écho est plutôt serein du côté des maisons de vente anglo-saxonnes. "Le projet de loi est une très bonne nouvelle, déclare Laure de Beauvau-Craon, président de Sotheby’s France, ma réaction est très positive." L’emménagement dans la galerie Charpentier, actuellement en travaux, est prévu à la fin de l’année et sera le symbole d’une ère parisienne nouvelle. Les distorsions fiscales ne semblent pas susciter d’inquiétudes particulières. "En 1999, la TVA à l’importation devrait être la même en Grande-Bretagne et en France. D’ailleurs, les objets importés dans la CEE représentent une part plutôt minime. La TVA à l’importation est une taxe anti-patrimoine plus qu’une taxe anti-marché de l’art. Les œuvres ne sont pas rapatriées en France, cela se remarque déjà dans les faits". Le droit de suite est l’objet d’une "discussion en cours", poursuit-elle. "Il est dommage que le marché de l’art contemporain ne puisse se développer en France." Selon elle, la fiscalité française présente "un grand avantage", la plus-value libératoire (ndlr : taxe forfaitaire) n’est que de 5 % dans les ventes publiques en France, alors qu’elle peut s’élever à 40 % en Grande-Bretagne. Enfin, la France attire tout particulièrement les clients étrangers, car c’est "le pays d’origine des biens qui les intéressent."
Mutation culturelle
Bertrand du Vignaud, vice-président de Christie’s France "souhaite que l’on tienne les délais", et se demande si "la dissolution de l’Assemblée ne va pas retarder le processus". "L’adoption du projet en Conseil des ministres est déjà très important sur le principe. Il faut maintenant attendre les points de détails, abordés dans les décrets d’application, la composition du Conseil,des ventes volontaires, le rôle de cette "Haute Autorité"... Bertrand du Vignaud souligne que les experts sont cités pour la première fois, et rappelle également que "beaucoup d’aspects de la loi ne concernent pas" les maisons de vente étrangères. Cependant, "il faut rendre à Paris un marché très fort" et donner des armes à l’Europe contre les États-Unis. "Les commissaires-priseurs auraient dû abandonner le monopole plus tôt pour laisser place à des entités françaises, mais le particularisme et la personnalisation extrême de la profession ont été trop forts." Il y a une profonde différence culturelle entre le monde anglo-saxon "pragmatique" et le monde français, qui a une approche "juridique, intellectuelle", et nécessite une "mutation sociologique et culturelle fondamentale" pour aborder un marché mondial.Plutôt laconique, Me Jacques Tajan commente : "Le projet est ce qu’il est. La France est un pays de palabres ! Or, il faut passer à l’action. Les mesures qui ont été prises sont convenables. Il faut maintenant harmoniser la fiscalité, notamment la TVA à l’importation de 5,5 %". Me Tajan, qui a mis "vingt ans" à payer son étude et emploie maintenant 140 personnes, considère que l’indemnisation est une mesure "équitable". "Il fallait absolument que la situation change", affirme Me Antoine Ader, vice-président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, qui s’estime satisfait : "Ce projet a été préparé avec notre accord. Nous n’en demandions pas tant." Me Jean-Claude Anaf, de Lyon, manifeste pour sa part une grande impatience : "Il va falloir que l’Assemblée nationale fasse vite ! Il reste peu de temps pour restructurer les entreprises, compte tenu des lenteurs administratives. Mais c’est un bon projet de loi, bien défendu par Me Champin."
Une COB des ventes
Il approuve la philosophie des regroupements de la Chancellerie :"Nous sommes des commerçants et des entrepreneurs, pas des commissaires-priseurs de droit divin", et se déclare "totalement optimiste pour le marché, qui fonctionne très bien depuis un an, avec des particuliers omniprésents et des ventes plus saines." Les distorsions fiscales ne l’inquiètent guère : "L’unification va se faire par la force des choses". Me Jean-Louis Picard considère en revanche que le projet de loi "ne va pas assez loin". "Il n’y a pas une ligne d’espoir sur une harmonisation fiscale. Cette loi est très restrictive par rapport aux autres pays et va contre la dynamisation du marché." Les disparités fiscales font "courir le risque que les ventes partent à l’étranger. C’est la loi de l’offre et de la demande." Me Jean-Claude Binoche voit dans ce projet une "loi typiquement française, qui veut tout contrôler", sous l’égide du Conseil des ventes volontaires, sorte de "COB des ventes". "Il est normal d’abolir le privilège des commissaires-priseurs, mais c’est une aberration de ne pas s’occuper du marché." Il déplore d’ailleurs les vues "à très court terme" des commissaires-priseurs, qui "ne voient que leur intérêt personnel", notamment avec l’indemnisation. "C’est une loi qui offre le marché aux Américains. Dans cinq ans, tout sera fait à New York." Selon lui, la France avait pourtant des atouts dans son jeu : la richesse de ses réserves artistiques et le concept moderne qui est celui de Drouot – un seul lieu de vente. "Nous allons droit vers la fin des ventes aux enchères en France. Le marché s’échappera de plus en plus. Sotheby’s et Christie’s gagneront à New York ce qu’ils perdront à Paris. La France deviendra un canal pour envoyer les objets à New York. Mais c’est un pays de bon sens qui s’apercevra vite qu’il ne peut ignorer éternellement les règles du marché de l’art."
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un projet de loi diversement apprécié
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : Un projet de loi diversement apprécié