Les ventes de tableaux anciens qui se sont déroulées à Londres en juin montrent que des estimations trop élevées nuisent à la dispersion des œuvres proposées aux enchères. En témoigne le feuillet d’études de Léonard de Vinci qui n’a pas trouvé preneur à 400 000 livres sterling. En revanche, les grandes œuvres faisant l’objet d’une estimation rigoureuse trouvent acquéreur.
Londres (de notre correspondante) - Les peintures de très haute qualité partent systématiquement à des prix supérieurs aux estimations, calculées sur les ventes précédentes, et marchands et musées enchérissent avec autant d’ardeur que les clients privés. Tout cela indique que le marché continue sa progression et que les acheteurs existent pour les œuvres majeures. Pourtant, les pièces surestimées, telle l’étude de Léonard de Vinci ou la magnifique marine de Salomon Van Ruysdael, présentées dans la vente Sotheby’s du 6 juillet, obtiennent de piètres résultats, à l’instar d’autres, sans surprise ou déjà trop connues sur le marché (lire le JdA n° 108, 30 juin). Vous lirez ci-dessous un commentaire des enchères obtenues par quelques œuvres.
Le Christ triomphant de Michel-Ange, un dessin à la plume, sanguine et fusain, estimé plus de 4,5 millions de livres, a été adjugé 8,1 millions de livres (89 millions de francs), le 4 juillet chez Christie’s au profit du marchand Katrin Bellinger, qui enchérissait pour le compte d’un client anonyme (lire le JdA n° 104). Le prix atteint constitue un record mondial pour un dessin de maître ancien. Il dépasse largement le précédent record obtenu par un dessin de Raphaël, Tête et main d’un apôtre, vendu 5,2 millions de livres, en 1996, qui appartenait à la célèbre collection de Chatsworth House. Personne n’ignorait que Timothy Clifford voulait faire l’acquisition du dessin pour la National Gallery of Scotland. Les héritiers de Sir Brinsley Ford le lui avaient proposé pour 6,5 millions de livres, prix que le conservateur avait estimé trop élevé bien que ces œuvres soient extrêmement rares en mains privées (il n’y en aurait que deux dans les îles Britanniques). L’œuvre a finalement été interdite d’exportation. Le musée écossais a-t-il perdu l’occasion de l’acquérir ? “C’est le plus célèbre de tous les Michel-Ange conservés au Royaume-Uni, a déclaré Timothy Clifford. Grâce à la générosité de Sir Brinsley, il était devenu si facilement accessible que nous le considérions déjà comme faisant partie de notre patrimoine.”
Le Feuillet d’études de Léonard de Vinci est l’un des grands perdants des ventes de l’été. L’estimation proposée (400-600 000 livres) était trop ambitieuse pour cette œuvre qui n’est autre qu’un feuillet de griffonnages. Aucun des marchands n’était intéressé, mais la feuille a trouvé acquéreur après la vente.
La Sainte Famille d’Orazio Gentileschi, estimée 1,5 à 2 millions de livres, a été adjugée 2,4 millions de livres (26 millions de francs) chez Sotheby’s, le 6 juillet. Ce tableau, tout comme celui de Cimabue retiré de la vente pour être cédé à la National Gallery (lire page 19) a fait l’objet d’une immense publicité, avec le lancement d’une campagne de presse qui a débuté six mois avant la vente. L’événement a été finalement plutôt décevant, le tableau a été adjugé à un enchérisseur au téléphone, à un prix à peine supérieur à l’estimation haute.
Une Nature morte d’Ambrosius Bosschaert le Vieux, estimée 400 000 à 600 000 livres, a été emportée à 1,9 million de livres (20,7 millions de francs) par Johnny van Haeften. Ce tableau était aussi convoité par un autre grand marchand hollandais, spécialisé en dessins de maîtres anciens, Otto Nauman, qui enchérissait pour le compte d’une institution. Des œuvres comparables se sont vendues au prix de 3,5 millions de livres entre particuliers, selon Johnny van Haeften. Bosschaert est considéré comme le père de la peinture de fleurs hollandaise et ce tableau datant de 1606 environ est l’un des tout premiers de l’artiste. C’est une œuvre d’une qualité exceptionnelle dans un parfait état de conservation.
Le Retour du bal de Jean-François de Troy, estimé 400 000 à 600 000 livres, a été adjugé 2,4 millions de livres (26 millions de francs), le 4 juillet chez Phillips. Il a été enlevé par les marchands Conrad Bernheimer, Otto Naumann et Johhny van Haeften qui enchérissaient contre le Getty Museum. Découvert dans un placard sous un escalier, au cours d’un inventaire effectué par une compagnie d’assurance près d’Ipswich, ce tableau constitue le pendant perdu d’un tableau conservé au Getty Museum, La Toilette pour le bal, retrouvé dans le Shropshire en 1948. C’est l’exemple type de la peinture rococo française commandée par Louis de Chauvelin, ministre de Louis XV. Le Getty avait fait savoir aux marchands et aux musées qu’il avait l’intention de l’acheter tout en sous-estimant l’intérêt que pouvait susciter cette œuvre sur le marché. Et de fait, trois marchands spécialisés en peinture hollandaise qui ont su reconnaître son extraordinaire qualité n’ont pas laissé passer l’occasion. Le Getty a pour politique de ne jamais s’acharner sur une œuvre qui lui a échappé en salle des ventes. Selon Johnny van Haeften, le tableau est parti à un prix “ très peu élevé et aurait pu atteindre 3,5 à 4,5 millions de livres ”. Deux grands musées et deux collectionneurs privés ont déjà fait des offres.
Le Christ en croix du Greco, estimé 600 000 à 800 000 livres, a été enlevé chez Sotheby’s, le 6 juillet à 3,8 millions de livres (42 millions de francs) par le Getty Museum. Déçu de n’avoir pas emporté le tableau de Jean-François de Troy, le Getty a fait le nécessaire pour s’assurer l’adjudication du Greco. Le visage du Christ est magnifiquement peint avec tout le savoir-faire de l’artiste, mais le modelé du corps et le paysage orageux à l’arrière-plan auraient pu présenter plus de force. Selon l’opinion générale, le Getty aurait mieux fait de surenchérir pour obtenir celui de Troy.
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Un Michel-Ange s’envole à 89 MF
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Un Michel-Ange s’envole à 89 MF