L’effondrement du Nasdaq (baisse de 55 % en dix mois) et le ralentissement de la croissance aux États-Unis n’ont pas nui, loin de là, au marché de l’art qui a connu en 2000 une année exceptionnelle.
Elle a très bien débuté en janvier à New York avec les traditionnelles ventes de tableaux anciens émaillées de prix records pour des œuvres de Tiepolo, du Carrache, d’Andrea del Sarto... Elle s’est clôturée en décembre sur des résultats encore jamais atteints : 610 millions de francs de produit pour une vente de maîtres anciens organisée à Londres par Christie’s, 310 millions de francs pour une collection de mobilier français en novembre à Londres, 2,7 millions de francs à Paris pour une image de Gustave Le Gray. Drouot se félicite d’un produit « art » en hausse de 14 % pour l’année (3,55 milliards de francs). La multiplication des enchères mirobolantes dans le secteur du mobilier classique français – 44 millions de francs pour une table de milieu d’André Charles Boulle chez Christie’s, 25 millions pour une paire de cabinets par Étienne Levasseur chez Tajan – et la très rapide progression de la cote de jeunes artistes contemporains amènent certains observateurs à redouter un retour aux errements de la fin des années quatre-vingt. Mais 2000 n’est pas 1989 : les acheteurs sont aujourd’hui nettement plus sélectifs et le marché plus sain comme en témoignent les dernières grandes dispersions de tableaux modernes et impressionnistes.
Tableaux anciens : l’euphorie se prolonge
2000 a été encore plus euphorique que 1999. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que le produit le plus élevé réalisé par un auctioneer lors d’une vente de tableaux anciens – 53 millions de dollars obtenus par Sotheby’s en janvier 1998 – a été dépassé en décembre 2000 par Christie’s à Londres qui a engrangé en quelques heures 82,1 millions de dollars de produit (environ 610 millions de francs). Un nouveau record du monde a été établi à cette occasion par une huile de Rembrandt – Portrait d’une dame âgée de 62 ans – qui s’est envolé à 19 millions de livres sterling. Il s’agit du second tableau ancien le plus cher après le Portrait du duc Cosme de Médicis par Pontormo. Au total, près de dix-huit nouveaux records ont été établis, ce 13 décembre, dont un pour une vue de la Place Campo Santi Giovanni e Paolo par Canaletto, enlevée à 7,7 millions de livres. À Paris, la plus forte enchère est allée à un tableau de Cranach, Vénus et l’Amour voleur de miel, qui est parti à 18,8 millions de francs lors d’une vente organisée le 4 décembre par l’étude Rieunier, Bailly-Pommery, avec le concours de René Millet. Un record pour l’artiste. En mars, une toile présentée à Nancy, Le Reniement de saint Pierre, cataloguée comme une “École de Lorraine” a été enlevée à 9 millions de francs par Charles Bailly qui l’a acquise comme une œuvre tardive de Louis Le Nain. “Ces prix très élevés ne sont pas surprenants, explique Étienne Bréton, expert en tableaux anciens associé au courtier Marc Blondeau. Du fait de l’extrême rareté des grands tableaux, il s’agit d’une des dernières chances pour les collectionneurs d’acquérir des chefs-d’œuvre. Ils ne doivent pas hésiter à surpayer un tableau sous peine de ne rien acheter.” Conscients de cette conjoncture favorable aux beaux tableaux anciens, des propriétaires d’œuvres importantes les proposent aux enchères dans l’objectif de réaliser de substantielles plus-values. Un pari risqué cependant. Ce marché très soutenu est aussi en évolution. “On a noté, cette année, l’arrivée de nouveaux collectionneurs. La valeur des tableaux flamands et hollandais s’est encore appréciée, explique Pascal Zuber, spécialiste en tableaux anciens chez Christie’s à Paris. Des prix très importants ont été atteints, par ailleurs, par des tableaux de Jean-Baptiste Oudry (883 750 livres en juillet à Londres) et Jan Both (1,4 million de livres) par exemple, des prix qui n’auraient jamais été obtenus il y a quelques années.” Étienne Bréton déclare, lui, avoir réalisé une année exceptionnelle. “Je n’ai jamais fait une année aussi brillante. J’ai vendu plusieurs tableaux entre 10 et 30 millions de francs”, souligne-t-il.
Tableaux modernes : une sélectivité accrue
Sélectivité pourrait être le mot-clé de cette année 2000 dans le domaine de l’art moderne. Les acheteurs recherchent avant tout, et de plus en plus, des œuvres lumineuses et fortes. Ils exigent aussi qu’elles soient les plus représentatives possibles du travail d’un artiste, en parfait état de conservation, d’un bon pedigree... et estimées à leur juste prix. Si un de ces critères n’est pas réuni, la sanction ne tarde pas : l’œuvre est ravalée. La très grande sélectivité des collectionneurs explique les pourcentages relativement élevés d’invendus lors des ventes new-yorkaises de novembre chez Christie’s (42 % pour la première partie de la vente du 8 novembre) comme chez Sotheby’s (40 % pour la première partie de la vacation du 9 novembre).
Ces résultats décevants, dans un contexte économique globalement favorable, tiennent à la fois à des estimations trop élevées mais aussi à la qualité moyenne de certaines œuvres. Si, au contraire, une toile d’un grand maître de la peinture moderne réunit tous ces critères, son prix explose : 55 millions de dollars pour un magnifique Picasso de la période bleue, Femme aux bras croisés, qui a appartenu à Gertrude Stein (Christie’s New York, 8 novembre), 24 millions de dollars pour une Vue du portail de la cathédrale de Rouen par Monet (Sotheby’s New York, 10 mai), 8 millions de dollars pour La Côte du galet à Pontoise de Cézanne (Phillips New York, 6 novembre), 11,4 millions de francs pour un tableau fauve de Derain de 1905, Voiles à Chatou (Cheverny, étude Rouillac, 4 juin), 2,1 millions de francs pour une Vue de Montmartre sous la neige par Utrillo (Paris, étude Briest, 15 décembre). “Les collectionneurs sont prêts à payer des prix beaucoup plus élevés qu’il y a quelques années pour un très grand tableau s’il est correctement estimé. Mais le marché est sain, la spéculation n’a plus cours”, souligne Andrew Strauss, expert chez Sotheby’s à Paris.
La raréfaction des œuvres majeures des quelques très grands noms de la peinture moderne entraînerait selon Thomas Seydoux, directeur du département impressionniste et post-impressionniste de Christie’s France, un report sur des œuvres de peintres d’ordinaire moins prisés comme Gustave Caillebotte dont les prix s’enflamment à leur tour : une très belle huile de 1880, L’Homme au balcon, boulevard Haussmann, estimée 6-8 millions de dollars, s’est ainsi enlevée à 14 millions de dollars, le 8 mai chez Christie’s à New York.
Art contemporain : un secteur brûlant
Les prix se sont envolés pour les jeunes stars de la scène internationale comme Damien Hirst ou Charles Ray mais aussi pour les grands classiques du XXe dont Mark Rothko ou Yves Klein, qui ont atteint des niveaux très élevés cette année. À tel point que certains observateurs en viennent à agiter l’épouvantail de la surchauffe de la fin des années quatre-vingt. L’arrivée de nouveaux collectionneurs issus des milieux boursiers et de la Nouvelle Économie, aux budgets illimités et aux achats impulsifs, contribuent à doper ce marché. Chez Christie’s par exemple, qui a réorganisé son département d’art contemporain – avec une section Post-war qui va de l’après-guerre à la fin des années soixante et une section art contemporain couvrant les trente dernières années –, le produit total des ventes a encore progressé cette année. Pour ses trois vacations du mois de novembre à New York, l’auctioneer a engrangé plus de 80 millions de dollars de produit (environ 590 millions de francs). Plus surprenant, près de 60 % des acheteurs de la vente d’art contemporain du 26 novembre étaient européens. “Nous assistons à une évolution des goûts en cette fin de siècle. Le public s’intéresse de plus en plus à l’art des années 1950-2000, explique Philippe Ségalot, responsable international du département art contemporain de Christie’s. Ce mouvement, qui était perceptible depuis deux ans, s’est encore accéléré.” Deux phénomènes ont marqué le marché américain : la progression étonnante des prix pour une brochette d’artistes dont Charles Ray (2,2 millions de dollars pour un mannequin d’homme réalisé en 1990 à trois exemplaires), Felix Gonzales-Torres (1,6 million de dollars pour Untitled (blood), un rideau de perles de verre réalisé en 1992) et Damien Hirst (750 000 dollars pour In love, out of love, un diptyque représentant des papillons) et la flambée de la photographie plasticienne qui a atteint des niveaux records cette année, particulièrement pour quatre artistes, Cindy Sherman, Thomas Struth, Jeff Wall et Richard Prince qui ont vu chacun un de leurs tirages partir autour de 270 000 dollars (environ 1,9 million de francs). À Paris, le marché semble plus actif. En témoigne la progression du produit des vacations : plus de 13 millions de francs pour la vente organisée le 7 juin par l’étude Briest et plus de 15 millions pour celle de décembre comprenant des œuvres de la collection de Cyrille Putman. “Le marché français est en éveil”, souligne Martin Guesnet expert en art contemporain de l’étude Briest. Les enchères élevées obtenues le 16 décembre par l’étude pour des artistes français (177 000 francs pour un autoportrait en silicone de Fabrice Hybert réalisé en trois exemplaires en 1998, 376 000 francs pour une série de cinq dessins du même artiste ; 1,6 million de francs pour une toile de Dubuffet de 1975) le confirment.
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Un cru exceptionnel malgré les aléas boursiers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Un cru exceptionnel malgré les aléas boursiers