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Paroles d’artiste

Tacita Dean : « Pas un hommage au sens conventionnel »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 5 octobre 2007 - 785 mots

À la galerie Marian Goodman, à Paris, l’artiste britannique Tacita Dean présente son dernier film réalisé au Japon, Human Treasure (2006), ainsi que des travaux graphiques sur albâtre et papier carbone. Entretien.

Votre nouveau film, Human Treasure, aborde cette distinction japonaise qui fait de certaines personnes de qualité, impliquées dans les arts traditionnels, un « trésor national vivant ». Quelle est la genèse de ce projet ?
J’ai été invitée en résidence durant cinq semaines à Kitakyushu, au Japon. Je devais écrire et il était prévu de me commander une nouvelle œuvre. C’était une période très courte pour créer quelque chose. J’ai pensé au « human treasure » comme à une sorte de concept. Beaucoup de mes films ont traité de « trésors humains » qui n’en avaient pas le titre, Mario Merz (2002) par exemple. J’ai donc décidé de travailler sur cette idée très importante au Japon, où les personnages ainsi distingués sont considérés presque comme des dieux. Ce sont souvent des artisans très qualifiés, mais j’ai voulu choisir quelqu’un qui soit engagé dans le théâtre. Sensaku Shigeyama est assez célèbre dans le monde du Kyogen, une forme de comédie traditionnelle japonaise. Lorsqu’il a accepté d’être filmé, j’ai pensé qu’il y avait un nombre infini de choses qu’un human treasure n’accepterait pas de faire. J’espérais donc que je pourrais réaliser ce film de la même façon que mes précédents, en gardant une distance. J’ai eu envie de le saisir alors qu’il se rend comme tous les matins prendre son petit-déjeuner dans un hôtel. Cela paraît être le moment où il est le plus disponible. On voit ce « trésor » marcher, manger et accomplir une performance sur scène.

La rencontre apparaît toujours comme un aspect important de vos films…
C’est une chose très intense pour différentes raisons. Il y a d’abord des « personnalités » que j’ai l’opportunité de filmer dans leur environnement, à un moment donné. Par exemple, avec Mario Merz j’ai été fascinée pour des motifs très personnels. Il me rappelait mon père. Mais il y a aussi souvent, chez les personnages, la même décrépitude. Vous pouvez dire que Merz ou Boots [qui a donné lieu, lui aussi, à un film éponyme en 2003] ont une attitude originale qui semble affectée par la vie. Je suis très attachée à la manière dont ils transportent leur expérience. Il y a aussi l’oubli culturel, qui ne devrait jamais avoir lieu, car ils sont vieux et immenses. Ce sont quelques-uns des mobiles de mes films. Les sources sont variées, ainsi Boots a été réalisé lors d’un séjour à la casa Serralves à Porto.

Ces films constituent-ils des hommages ?
Il est certain qu’ils sont des sortes de portraits, mais ils proposent aussi un large regard sur un point particulier, dans le temps et dans l’espace. Ce ne sont pas du tout des hommages dans un esprit conventionnel, car aucune information n’est jamais donnée. Si hommage il y a, c’est seulement à propos de la particularité fondamentale de cette personne-là à ce moment-là.

Beaucoup de vos œuvres, et pas seulement vos films, prennent place dans des lieux de transit, tels des bateaux, des restaurants ou, ici, un hôtel… Quel motif à cela ?
Ce genre d’espaces m’aide beaucoup dans cette idée de créer un temps mentionné, précis. Ici vous avez le déroulé d’une matinée à Kyoto, dans cet édifice de 1973 qui paraît très daté. J’aime ce genre de lieux qui créent des confusions temporelles.

Vous semblez parfois travailler au seuil de la perception, comme avec vos dessins sur des plaques d’albâtre (Presentation Windows, 2005). Cherchez-vous à rendre visibles des choses que nous ne pouvons ou ne voulons pas percevoir ?
Quand j’ai commencé à travailler l’albâtre, je ne savais pas ce que j’allais en faire, mais j’ai soudainement vu une surface avec des lignes. Je les ai poursuivies avec des éraflures. Je ne voulais pas imposer quoi que ce soit aux pierres. Ces tracés créent pour moi une forme de paysage. Il est très surprenant de trouver cela à l’intérieur d’un rocher, d’autant que cela devient tridimensionnel. Les dessins sur papier carbone (Lightning Series I-VII, 2007) sont, eux, issus uniquement du papier lui-même, avec l’usage de deux feuilles. Il n’est pas fait usage du crayon, cela procède de l’acte d’enlever de la matière. Ce travail m’a pris beaucoup de temps pour y parvenir… Faire un dessin en ôtant l’encre ! Cette opération relève d’un processus d’inversion, et le médium devient une part du motif lui-même, avec l’apparition de ces flashs, de ces éclairs. Ces pièces sont un peu venues comme des erreurs, et j’utilise communément des erreurs comme parties prenantes de mes dessins.

TACITA DEAN. HUMAN TREASURE

Jusqu’au 13 octobre, galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dim-lun 11h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°265 du 21 septembre 2007, avec le titre suivant : Tacita Dean

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