Pendant plusieurs années, l’antiquaire américain Frederick Schultz et son complice britannique Jonathan Tokeley-Parry ont revendu des antiquités exportées frauduleusement d’Égypte. Frederick Schultz purge actuellement aux États-Unis une peine de prison après sa condamnation sans précédent par une cour d’appel fédérale. Cette décision de justice, qui maintient sa première condamnation criminelle, est une première en ce qui concerne un marchand accusé de trafic d’antiquités réclamées par leur pays d’origine. La cour a rejeté en appel les arguments du marchand qui compte toujours porter l’affaire devant la Cour suprême américaine.
NEW YORK - Frederick Schultz, l’ancien président aux États-Unis de la National Association of Dealers in Ancient, Oriental, and Primitive Art (Association nationale de marchands d’art ancien, oriental et primitif), purge depuis le mois de juillet une peine de trente-trois mois à Fort Dix, une prison fédérale située dans le New Jersey. Cette incarcération fait suite au jugement sans précédent d’une cour d’appel fédérale qui a confirmé à New York le 25 juin l’arrêt du 12 février. La cour a rejeté les quatre arguments sur lesquels l’accusé fondait son appel. Ce jugement est une grande victoire pour le procureur du district sud de New York, qui a estimé qu’un objet d’art considéré comme volé par une loi étrangère de protection du patrimoine l’était également en droit américain, au sens de la National Stolen Property Act (NSPA) (1). Les marchands et les collectionneurs d’antiquités qui refusaient ce principe se retrouvent aujourd’hui désarmés.
L’appel de Frederick Schultz a provoqué de nombreuses réactions. Plusieurs groupes de marchands et de collectionneurs ont témoigné par écrit, arguant que le maintien de cette condamnation aurait de graves répercussions sur le commerce légal des antiquités. L’Archaeological Institute of America (AIA) et d’autres groupes ont répliqué que l’application du NSPA permettrait la protection de sites archéologiques à travers le monde.
Pour Frederick Schultz, les objets ne pouvaient être considérés comme volés, car la loi égyptienne sur les antiquités n’est pas une véritable loi établissant la propriété patrimoniale. La cour d’appel a écarté cet argument, en s’appuyant sur des témoignages concernant la loi égyptienne 117. Cette dernière définit le terme d’“antiquités”, interdit leur propriété individuelle, leur commerce et leur détention, et impose des sanctions à tout contrevenant, sanctions qui peuvent aller jusqu’à des peines de prison avec travaux forcés ; une personne qui “endommage accidentellement” une antiquité égyptienne encourt la même peine. Gaballa Ali Gaballa, secrétaire général du Conseil suprême des antiquités d’Égypte, a confirmé que le gouvernement égyptien était propriétaire des nouvelles découvertes archéologiques sur son sol. La cour d’appel en a conclu que la loi égyptienne était “claire et sans ambiguïté” et que les objets reçus par Schultz étaient “propriété du gouvernement égyptien.”
Par ailleurs, la cour a estimé que le NSPA concernait les objets “volés en violation de la loi étrangère sur le patrimoine”, et qu’il n’y avait “aucune raison pour qu’un objet dérobé dans un pays étranger souverain soit traité différemment d’un objet volé dans un musée étranger ou une maison particulière”. Jane C. Waldbaum, président de l’AIA, pense pour sa part que cette décision “réduit fortement la motivation des marchands d’art de se lancer dans le trafic des antiquités volées et celle des collectionneurs de les acheter” et la qualifie de “grand pas en avant dans l’effort de préserver le patrimoine culturel et archéologique mondial”.
La cour a rejeté l’argumentation de Frederick Schultz selon lesquelles il aurait pu mal comprendre la loi américaine, invoquant que ce dernier ne saurait être considéré comme “surpris” d’avoir agi illégalement, puisque ses transactions étaient déguisées. La cour a également conclu que l’antiquaire devait savoir “de manière implicite” que l’Égypte disposait d’une loi de protection du patrimoine, et qu’il aurait “sciemment évité de la consulter”. Selon l’assistante du procureur, Marcia R. Isaacson, s’il est difficile de prouver la connaissance par un marchand d’une loi étrangère, le cas Schultz est tout différent. La cour n’a donc pas eu de mal à rendre son verdict.
Collection britannique imaginaire
De son côté, Jonathan Tokeley-Parry purge une peine de prison au Royaume-Uni pour complicité de trafic d’objets volés sur le territoire britannique. Depuis 1991, Schultz a été le complice de Tokeley-Parry, l’aidant à exporter illégalement des antiquités égyptiennes hors de leur pays d’origine ; le duo les faisait passer pour des souvenirs touristiques en les recouvrant d’un film plastique. Aux collectionneurs, les objets étaient présentés comme appartenant à une collection privée anglaise imaginaire des années 1920. Les pièces portaient de fausses étiquettes datées de cette période et elles étaient même restaurées avec des techniques de l’époque. Schultz a revendu une tête sculptée d’Amenhotep III à un collectionneur pour 1,2 million de dollars, après l’avoir achetée à Tokeley-Parry pour 800 000 dollars. Selon la cour, les communications entre les deux complices ont confirmé leur connaissance de ce qu’ils encourraient au moment des faits.
(1) Loi américaine qui condamne le commerce d’objets “volés” sur le territoire américain.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Schultz reste en prison
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Schultz reste en prison