Femme d’affaires américaine d’origine roumaine, Rodica Seward a racheté la maison de ventes aux enchères Tajan au groupe LVMH en décembre 2003. Après six mois de réflexion sur les orientations à donner à la société, elle nous livre sa stratégie. Passionnée par les abstractions de la première moitié du XXe siècle, Rodica Seward compte renforcer la section moderne et contemporaine de Tajan et surtout s'employer à faire de Paris une place à part entière du marché de l’art.
Femme d’affaires américaine d’origine roumaine, Rodica Seward a racheté la maison de ventes aux enchères Tajan au groupe LVMH en décembre 2003. Après six mois de réflexion sur les orientations à donner à la société, elle nous livre sa stratégie. Passionnée par les abstractions de la première moitié du XXe siècle, Rodica Seward compte renforcer la section moderne et contemporaine de Tajan et surtout s'employer à faire de Paris une place à part entière du marché de l’art.
Vous avez racheté la SVV Tajan en décembre 2003 au groupe LVMH. Êtiez-vous prête pour cette aventure ?
Depuis trois ans, je me dis que je ferai un jour quelque chose dans l’art. Je pense que je peux amener une passion mêlée à mes expériences dans le monde de la finance. Dans l’art, il y a un facteur émotionnel, mais c’est un secteur économique comme un autre. La maison de ventes est un outil public pour établir des cotes et donner une liquidité, un peu comme le marché des capitaux. Je viens du métier du service et, lorsqu’on a une maison de ventes, il faut convaincre qu’on offre les meilleurs services. Parce que j’ai vécu et travaillé dans plusieurs marchés et cultures, je connais beaucoup de gens partout. Je veux utiliser ce réseau pour que les clients se rendent compte de l’alternative Tajan. Je ne veux pas faire de compétition à un niveau international avec Christie’s et Sotheby’s, mais renforcer Tajan comme première maison française et faire de Paris un autre centre européen, au même titre que Londres. Si je suis en compétition à l’étranger avec les maisons de ventes anglo-saxonnes, c’est pour ramener les collections en France et non développer des antennes à l’étranger. Je veux créer une maison de ventes très attentive aux clients européens.
N’avez-vous pas été effrayée par la rentabilité faible sinon nulle des maisons de ventes ?
J’ai, bien sûr, réfléchi, et puis j’ai foncé. Nous avons depuis mars un nouveau directeur général, Geoff Allan. J’ai voulu quelqu’un qui ait une bonne connaissance de la petite entreprise et qui soit « biculturel ». Il est écossais et a fait sa carrière en France. Il a une formation juridique et économique, et c’était nécessaire pour mettre en place une structure de gestion qui libère d’autres personnes pour la partie créative. Les marges dans ce métier sont faibles et il faut bien gérer les coûts fixes. Du coup, je ne veux pas avoir tous les experts en interne comme les Anglo-Saxons. Certains domaines, surtout le moderne et le contemporain, qui sont très importants à mes yeux, doivent être gérés en interne avec des business getters [prospecteurs]. J’ai moins besoin d’experts intermédiaires pour cela. Je vais essayer d’utiliser les gens chez Tajan et autour de Tajan de la meilleure façon possible. Dans d’autres spécialités, il n’est pas indispensable de disposer de quelqu’un en interne. Le partenariat avec Félix Marcilhac pour les arts décoratifs du XXe siècle est en ce sens fabuleux.
Les ventes d’art moderne et contemporain de Tajan étaient jusqu’à présent très classiques. Comptez-vous vous orienter vers le très contemporain ?
Tout à fait. J’essaye de développer des relations avec les galeries contemporaines très fortes de Paris. J’imagine même travailler avec des artistes vivants et leurs galeries, et décider ensemble comment nous pouvons tous intervenir dans leur défense.
Les rumeurs ont évoqué d’éventuels rapprochements avec Artcurial Briest-Poulain-Le Fur, une société forte dans le secteur moderne et contemporain…
J’ai déjà opéré beaucoup de fusions-acquisitions dans ma vie. Il faut voir ce que cela rapporte véritablement. Est-ce que cela amène plus de business ou plus de structures ? On n’a pas besoin de multiplier les structures. Le mieux, c’est une structure simple et saine. Il est avant tout indispensable d’avoir une équipe très motivée et des coûts fixes limités. Il faut toujours adapter la structure au business et pas l’inverse.
Comment avez-vous réussi à décrocher la collection d’art surréaliste de Julien Levy, que vous allez rapatrier des États-Unis ?
J’ai appris tardivement, par un e-mail pendant l’ARCO, la foire d’art contemporain de Madrid, que la succession allait avoir lieu. Christie’s et Sotheby’s étaient déjà passées par là. En trois jours, en travaillant en équipe, François Tajan et moi-même, nous avons fait une proposition. Nous avons eu une approche globale et réussi à faire comprendre aux héritiers qu’une vente surréaliste était plus adaptée à la France, malgré le problème du droit de suite. Mais nous n’avons pas éliminé les frais vendeurs pour décrocher la collection.
Vous avez choisi de développer les ventes à thème, en commençant avec « Paris-Europe Centrale-Paris » le 7 décembre prochain. Est-il encore possible de remettre Paris au centre de l’Europe ?
Nous avons le choix de se dire : « c’est difficile », « c’est horrible », ou essayer de faire quelque chose. Paris est la plus belle ville du monde et tout le monde est venu créer à Paris tout au long du XXe siècle. Cela ne peut pas disparaître d’un seul coup. Il est clair que le marché de l’art est lié à l’énergie économique d’un pays et à sa flexibilité. Certes, en France, on a le problème du droit de suite, mais on peut encore essayer d’inverser la tendance. Je travaille avec le Conseil des ventes volontaires à un projet que je veux soumettre au ministre de la Culture. La vente du 7 décembre résulte d’un constat : tous les grands artistes comme Brancusi , Soutine, Rothko, Gorky, Zadkine jusqu’à de Staël, Poliakoff et Lanskoy sont issus d’Europe de l’Est. On a décidé d’étendre le champ [de la création] des années 1900 aux années 1970, pour pouvoir disposer d’œuvres de qualité et non de fonds de tiroirs. On va travailler avec les privés et les marchands dans un vrai partenariat pour obtenir des pièces, car la remise à l’honneur de tous ces artistes est aussi dans leur intérêt.
Quels sont vos projets ?
Une des forces de Tajan, c’est que la société est saine et bien équilibrée entre le XVIIIe et le XXe siècle. Mais nos compétences dans le XXe siècle ne sont pas suffisamment connues. Je veux développer encore plus ce secteur sans pour autant en éliminer d’autres. En ayant plusieurs lignes forces, on peut aller dans une collection en prenant tout. On peut conseiller une succession, mais aussi agir dans le renouvellement d’une collection. Je songe actuellement à une activité de conseil privé qui serait liée à Tajan, mais externe à la maison. Lorsque les vendeurs voudront disperser des ensembles, on pourra aiguiller certaines choses vers la vente privée et d’autres vers la vente publique, ce afin d’offrir le meillleur service. On veut aussi travailler en partenariat avec les musées et les galeries pour organiser des événements à thème. Personne n’a réalisé d’exposition « Motherwell-Kline-Soulages » ou « Gorky-Masson-De Kooning-Matta ». On pourrait par exemple organiser des expositions pendant l’été. Avec les marchands, on peut promouvoir ensemble certains artistes, attaquer ensemble certaines successions comme Sotheby’s a pu le faire avec Bill Acquavella.
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Rodica Seward, présidente du conseil de surveillance de la SVV Tajan
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Rodica Seward, présidente du conseil de surveillance de la SVV Tajan