Photographie

Ralentissement modéré en 2003

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 2003 - 1280 mots

Le marché de la photographie connaît cette année un premier fléchissement, probablement plus révélateur d’une stabilisation que d’un futur affaissement.

 PARIS - Surmédiatisé depuis la première vente Jammes en 1999, le jeune marché de la photographie s’est largement développé en quelques années. Le nombre de ventes spécialisées s’est multiplié et l’offre s’est élargie pour conquérir un public de collectionneurs toujours plus important. L’achat de photographies en ventes publiques ne semble pourtant pas le placement spéculatif qu’on a voulu y voir. Après plusieurs années d’augmentation continue, les produits générés par les ventes spécialisées diminuent, s’engageant probablement sur la voie de la stabilité. D’après les informations qui prévalent en ce domaine, les résultats paraissent dans l’ensemble s’assagir, sans pour autant donner les signes de l’effondrement. 3 605 photographies ont été vendues dans le monde durant le premier semestre 2003, le taux d’invendus avoisine les 37 %, et le produit total généré est d’environ 27 millions d’euros. Ces résultats sont bien inférieurs à ceux du premier semestre 2001 durant lequel 6 726 images avaient été achetées pour un total de 33,5 millions d’euros, tandis que le taux d’invendus n’était que de 29 %. Le bilan est toutefois supérieur à celui du premier semestre 1999, où les 3 683 épreuves vendues n’avaient totalisé que 18,6 millions d’euros alors que le taux d’invendus était de 10 %. L’augmentation du pourcentage de pièces ravalées et la diminution du nombre d’épreuves monnayées n’inquiètent cependant pas les professionnels du marché de l’art qui apportent une explication rationnelle à chacun de ces phénomènes. « Il est vrai que la part des invendus est assez importante, confirme Matthieu Humery, le spécialiste en photographie de la maison Phillips, de Pury & Luxembourg. Mais il faut préciser que, depuis deux ans, les mêmes images passent souvent en ventes publiques. La photographie étant un multiple, il est important de distinguer l’image de l’épreuve, c’est-à-dire l’objet. En matière de photographie contemporaine, les épreuves sont généralement en bon état. Une bonne image de Nan Goldin peut se vendre entre 15 000 et 20 000 euros. Si cette même image se présente de nouveau et rapidement sur le marché, elle devient plus difficile à vendre, voire impossible à céder s’il s’agit de la même épreuve. » La fréquence de passage d’une œuvre sur le marché est particulièrement courte pour la photographie : « On me propose régulièrement des choses achetées assez récemment, relève Matthieu Humery. Les collectionneurs veulent des choses inédites, ce qui est particulièrement difficile pour le XIXe siècle. » Les mauvais résultats réalisés par la dispersion de la « Collection d’un amateur » en novembre 2002 chez Christie’s à Paris en est une illustration parfaite. L’ensemble était composé d’épreuves de grands noms assez recherchés tels que Le Gray, Baldus ou Brassaï, mais la plupart des pièces avaient été achetées en ventes publiques dans les cinq années précédentes et manquaient par conséquent de fraîcheur.

Collectionneurs découragés
C’est dans le domaine de la photographie ancienne que les évolutions les plus marquantes ont été notées. Les difficultés de cette spécialité doivent être relativisées puisque, à l’exception de la vacation consacrée à Girault de Prangey chez Christie’s à Londres en mai, aucun ensemble important n’a été dispersé en 2003. Il semble toutefois que différents paramètres aient évolué ces dernières années. « Plusieurs points me semblent importants, observe Marc Pagneux, expert en photographies historiques et anciennes. D’une part, les journalistes ont fait tellement de bruit sur le marché de la photographie que les vendeurs ont désormais des prétentions irréalistes. La vente André Jammes, par ailleurs, a eu un effet très positif pour les marchands qui proposaient de belles pièces, mais a anéanti le marché des collectionneurs moyens, ceux qui achetaient des pièces entre 2 000 et 3 000 euros. Ces amateurs se sont découragés. Ils ont quasiment disparu, et il n’y a pas non plus de nouveaux grands collectionneurs. Enfin, on note l’arrivée dans les salles de vente de quelques imposteurs qui veulent faire prendre des vessies pour des lanternes. Tout cela trouble un peu le marché. » Le spécialiste ne constate pas de pénurie particulière concernant le volume d’images nouvelles qui sortent chaque année des greniers. « C’est l’intérêt qui a changé et s’est réduit, explique-t-il. Aujourd’hui, toutes les institutions et tous les collectionneurs importants ont déjà leurs vues du mont Blanc des frères Bisson, leurs vues d’église de province par Baldus ou leurs marines de Le Gray. Il n’y a plus d’acheteurs pour les standards haut de gamme. Cependant, il y aura toujours des collectionneurs pour les  les pièces exceptionnelles, quels que soient leurs prix. » Les records établis en mai dernier par les daguerréotypes de Girault de Prangey illustrent cette réalité : la vue du Temple de Jupiter Olympien, pris de l’est est devenue, avec 789 654 euros, la photographie du XIXe siècle la plus chère.  Par ailleurs, 60 % des épreuves de Le Gray proposées à la vente pour l’année 2003, toutes images et qualités confondues, ont été ravalées. Le nom seul de l’artiste, dont la production n’est pas rare sur le marché, ne suffit plus à assurer sa promotion une fois passé l’« effet Grande Vague » qui l’avait soutenu entre 1999 et 2001.
La photographie contemporaine semble également connaître quelques difficultés, qui affectent une fois encore le moyen et le bas de gamme. « Il y a eu une telle flambée des prix dans les années précédentes, rappelle Grégoire Billault, spécialiste en art contemporain chez Sotheby’s, que ce ralentissement est un peu normal. De plus, peu d’œuvres importantes sont apparues cette année sur le marché. La petite section de photographies qui ouvrait notre vente d’art contemporain du 13 novembre à New York a très bien marché. » De fait, les ténors des ventes contemporaines tels que Sherman, Gursky, Struth, Ruff ou Mapplethorpe, s’ils font l’objet de quelques variations d’une année sur l’autre, sont encore recherchés pour leurs œuvres majeures. Toutefois, la fréquence de présentation des pièces aux enchères est suffisante pour justifier l’importance du taux d’invendus, qui ne cesse de croître pour les œuvres de qualité et de rareté moyenne. « On constate aujourd’hui une plus grande sélectivité, signale Christophe Durand-Ruel, spécialiste en art contemporain chez Christie’s. Je ne pense pas qu’il y ait eu une redistribution des cartes depuis deux ans, mais il est possible que ce ne soit pas les mêmes œuvres des mêmes grands noms qui séduisent les collectionneurs. »

Marché new-yorkais pour la photographie moderne 
La photographie moderne est la seule spécialité à assurer une véritable stabilité sur cinq ans, voire une croissance pondérée. Paris a su s’affirmer cette année dans ce domaine grâce à la dispersion de la collection André Breton, pour laquelle l’effet de provenance a évidemment beaucoup joué. Mais, une fois n’est pas coutume, le marché pour cette spécialité est plutôt new-yorkais. « Un beau vintage de Paul Strand ou de Weston, c’est un placement traditionnel américain, remarque Matthieu Humery. Dans ce domaine, il n’y a pas de surprise, les très belles choses prennent de la valeur. Tous les quatre ou cinq ans, une épreuve du Chou de 1927 de Weston passe en vente, et à chaque fois elle gagne 20 000 dollars. » Man Ray, Weston, Strand, Kertész, Curtis, Evans, Stieglitz, Abbott sont toujours demandés, surtout lorsque les épreuves sont irréprochables.
Les lieux de prédilection du marché de la photographie ne changent pas. Traditionnellement, Paris et Londres sont les places fortes de l’ancien, tandis que le moderne et le contemporain sont plus prisés à New York. L’émergence depuis quatre ans d’une scène germanique que dynamisent quatre maisons de ventes locales, à l’exemple de Lempertz à Cologne et Berlin, tend à développer les marchés allemands et autrichiens, qui pourraient gagner en importance dans les années à venir.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°183 du 19 décembre 2003, avec le titre suivant : Ralentissement modéré en 2003

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