La foire d’art moderne et contemporain, organisée du 9 au 13 février, a manqué de souffle et d’identité. Elle a aujourd’hui besoin de se reconstruire.
MADRID - « If man did not imperiously close his eyes, he would finally be unable to see the things worth seeing » (1). Cette citation de Michel Foucault sur une toile de Julião Sarmento sur le stand de la galerie Lisson (Londres) avait quelque chose de circonstanciel. Car, pour tracer son chemin dans l’ARCO, le salon international d’art contemporain de Madrid, il fallait souvent fermer les yeux pour éviter bâillements ou haut-le-cœur dans une débauche artistique moyenne et souvent terne. L’anniversaire des 25 ans de la foire a été du coup tristounet, faute du charme et de l’esprit festif longtemps caractéristique de la manifestation.
Dans la meule contemporaine du hall 9, quelques pièces fortes se sont toutefois distinguées comme une vidéo de Shoja Azari baptisée A Family (Galerie Helga de Alvear, Madrid) présentant une scène de ménage explosive filmée en voyeur, de derrière une fenêtre. Une autre belle vidéo de Christian Jankowski (80 000 euros) chez Lisson jouait sur les notions de représentation et de mise en abyme dans le climat froid et bleuté d’une ville moderne.
Bien que les organisateurs portent leur énergie sur la section contemporaine, c’est dans le hall des modernes que l’on trouvait matière à satisfaction. Les regards s’attardaient sur les vaisseaux fantômes d’Ed Ruscha (290 000 euros) chez le New-Yorkais Edward Tyler Nahem, sur un dessin érotique de Salvador Dalí, Andromède (1931), proposé pour 115 000 euros par Van de Weghe (New York), ou encore, vraie rareté, sur des dessins de Valie Export (20 000 euros) chez Charim Galerie (Vienne). Il est surprenant que ce secteur, avec son évidente qualité, soit ostracisé. « L’Espagne a eu le complexe de l’avant-garde, en pensant ne plus avoir besoin du passé », regrette Lourdes Fernandes, la directrice de la prochaine édition de l’ARCO. Les poils des modernes se sont d’ailleurs dressés avec l’installation dans leur hall des seize artistes contemporains espagnols sélectionnés par la commissaire d’exposition María de Corral. Une incursion déguisée, dans leur territoire, des galeries contemporaines du hall 9, représentantes des créateurs sélectionnés ! Il n’était pas non plus diplomatique que les grandes parois de ces projets masquent la présence autrichienne, invitée il est vrai peu convaincante de cette édition.
Stratégie à réviser
L’insipidité de la foire s’est reflétée dans le commerce, mou au démarrage faute d’une clientèle internationale, sollicitée par les ventes londoniennes. Les enseignes espagnoles et certaines étrangères familières du marché local ont toutefois tiré leurs épingles du jeu. C’est le cas de Heinrich Ehrardt, marchand allemand établi depuis 1998 à Madrid. « Au début de mon activité, je ne vendais que 15 % des œuvres au marché espagnol. Aujourd’hui, j’effectue 70 à 80 % de mon chiffre d’affaires en Espagne », nous a-t-il déclaré. Avant même le vernissage, il a cédé deux œuvres de Tobias Rehberger à un collectionneur ibérique. De son côté, la Galerie 1900-2000 (Paris) a vendu plusieurs pièces au futur musée du Tenerife et finalisé la transaction d’un Oscar Dominguez à l’IVAM (Institut valencien d’art contemporain).
La chance a aussi souri à certaines galeries moins familières des us hispaniques. Yvon Lambert (Paris, New York) a ainsi négocié Les Américains, kaléidoscope de photos d’Andres Serrano (150 000 euros) au musée d’art contemporain du Musac, à Gijón, ainsi qu’une vidéo de Mircea Cantor au Musée Reina-Sofía (Madrid). Un musée asiatique a jeté son dévolu sur deux pièces, l’une de Tony Cragg, l’autre d’Anthony Gormley chez Thaddaeus Ropac (Paris, Salzbourg). Quelques exposants ont même réussi à céder leurs invendus d’anciens salons, voire des œuvres bien connues du marché. Le marchand genevois Pierre Huber a ainsi acheté chez Alfonso Artiaco (Naples) un grand tableau d’Albert Oehlen qu’il avait déjà repéré à Paris sur la FIAC en octobre dernier. La palme revient à une enseigne madrilène, laquelle a vendu une toile de Valmier, Le Village (1924), confiée par une galerie parisienne. En quinze ans, ce tableau est passé dix fois en vente, la dernière deux mois plus tôt chez Massol, à Paris !
Mais le commerce, bon ou mauvais, n’est pas tout. Comme la FIAC voilà deux ans, l’ARCO vit un tournant de son histoire où elle doit entièrement réviser sa stratégie pour ne pas perdre pied. Les bonnes recettes d’hier ne sont en effet plus opérantes. La sectorisation effrénée, qui avait autrefois permis d’élargir le spectre des exposants, nuit fortement à la lisibilité de la foire. Celle-ci doit aussi se trouver de nouveaux points forts. Après avoir bâti sa réputation sur l’art latino-américain, rare lors de la dernière édition, elle s’est fait souffler cette corde par Art Basel Miami Beach. « Il faut chercher de nouveaux marchés, pas forcément américains, regarder vers l’Asie du Sud-Est, nous a confié Lourdes Fernandez. On a besoin de rénovation. Il nous faudra deux ans pour repenser la foire avec les galeries. »
(1) « Si l’homme ne fermait pas impérieusement ses yeux, il ne pourrait pas voir les choses qui valent la peine d’être vues. »
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Piètre anniversaire pour l’ARCO
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°231 du 17 février 2006, avec le titre suivant : Piètre anniversaire pour l’ARCO