La rétrospective Rouault organisée à Paris par la Galerie Schmit dépasse les clichés sur le peintre chrétien. Artiste chrétien et « peintre de la compassion », selon la formule de l’historien de l’art Bernard Dorival.
PARIS - Tel est le mythe restrictif entretenu par les gardiens de la flamme de Georges Rouault. Une image savamment dépassée par la rétrospective organisée à Paris jusqu’au 4 juillet par la galerie Schmit. Non que cette dimension en soit absente, loin s’en faut ! Le parcours débute avec Ne sommes-nous pas tous Forçats ? (1920-1929), représentant un homme dont les mains croisées au-dessus de la tête signent à la fois l’abandon et la douleur, et se clôt avec un grand fusain de jeunesse, étude pour le tableau Le Christ mort pleuré par les saintes femmes (1895-97). Même si la boucle semble bouclée, le choix des œuvres ne limite pas l’élève de Gustave Moreau au seul misérabilisme retenu par les manuels d’histoire. Le tri sélectif effectué par Emmanuel Schmit ne le réduit pas plus au chromatisme étouffé, considéré comme la marque de fabrique de ce peintre indépendant. Car l’artiste ne boude pas les incandescences colorées, presque fauves, comme le prouvent Sarah (1956) ou Tête de femme (1950-56), aux dominantes absinthe et jaune. De quoi mettre un sérieux bémol aux assertions péremptoires de Bernard Dorival dans le catalogue de l’exposition organisée par le Centre Pompidou en 1992 : « Point de fanfares de tons chez lui. Presque jamais des jaunes. Exceptionnellement des verts et éteints ». S’il n’y a pas d’économie dans la couleur, il n’y en a guère plus dans la matière, qui se densifie et se plâtre dans les années 1950. « L’œuvre de Rouault n’est pas triste. C’est un travail de peintre, subtil, avec de vraies innovations techniques à partir d’un schéma a priori simple », insiste Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris et organisateur de l’exposition Rouault en 2006 au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. On ne saurait non plus nier la contiguïté des thèmes entre la veine mystique et l’observation du monde du cirque et des bordels. Un chevauchement qui explique notamment l’élasticité des dates visibles sur les cartels. Rouault disait lui-même avec humour en 1950 : « tout en général devrait être marqué 1894-1950, voilà le vrai. » De fait, à l’exception de la salle dédiée aux œuvres de jeunesse à l’inspiration cézanienne et aux esquisses d’une vivacité étonnante, le reste du circuit évite la chronologie. Les œuvres n’en répondent pas moins entre elles, comme deux paysages bibliques, presque aussi expressifs que des portraits.
Reprises
Pour illustrer la reprise des thèmes, chère au peintre, l’accrochage juxtapose les deux visages de Qui ne se grime pas ? et Pierrot, reprenant, à cinq ans de distance, la même moue mélancolique. Derrière l’habit de lumière du pitre, l’artiste guette la « tristesse infinie ». Dès 1905, n’écrivait-il pas : « J’ai le défaut de ne laisser jamais à personne son habit pailleté, fût-il roi ou empereur. L’homme que j’ai devant moi, c’est son âme que je veux voir. » Une âme qu’il révèle avec humilité, sans le côté « prédicateur furieux » que le critique d’art Carl Einstein a voulu lui prêter. Dans l’antichambre dédiée aux années 1907-1910, un mur de dessins renvoie en miroir deux personnages caricaturaux, l’un, Polichinelle bedonnant, l’autre, Illusionniste ventru. Traités dans une veine qui n’est pas sans rappeler le regard féroce de Toulouse-Lautrec ou de Daumier, ces papiers aux tonalités translucides se structurent en lignes cassées et nerveuses, comme autant de virgules. Au fur et à mesure de l’exposition, la légèreté se rigidifie dans des figures presque byzantines, cernées d’un puissant trait noir, à l’image du Duo (vers 1939-1945), tandis que la texture s’opacifie.
À voir la personnalité singulière de Rouault, défendu par le grand marchand Ambroise Vollard, on s’étonne que le peintre soit encore sur le banc de touche de l’histoire. C’est qu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les critiques valables pour le défendre se firent rares. L’étiquette embarrassante de « catholique fervent » n’était guère séduisante dans les années 1960-1980, où toute référence à la religion pouvait sembler désuète ou suspecte. Or, il suffit de regarder les œuvres de cette exposition pour y déceler une trace tant de l’humain que du sacré.
GEORGES ROUAULT
Jusqu’au 4 juillet, Galerie Schmit, 396, rue Saint-Honoré, 75001 Paris, tél. 01 42 60 36 36, tlj sauf dimanche 10h-12h30 et 14h-18h30.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’humain et le sacré
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : L’humain et le sacré