De la Renaissance au début du XVIIIe siècle, d’innombrables objets en bronze ont été fondus. Collectionnés de tout temps, ils constituent un domaine d’un abord délicat et riche en pièges pour l’amateur.
Reproduit en couverture d’un catalogue de vente à Londres, en 1992, un cheval en bronze a provoqué un jour l’un de ces scandales qui agitent périodiquement le marché de l’art. Estimé 200 000 livres, et doré à point, le fier destrier bénéficiait d’une longue notice laissant penser qu’il était dû à l’artiste milanais Leone Leoni (1509-1590). Las ! D’aucuns se sont souvenus l’avoir vu adjugé cinq ans plus tôt par Mes Couturier et de Nicolay sur une enchère nettement plus modeste : 470 000 F. Il faut préciser qu’à cette date, une patine brune conférait une robe alezane à l’équidé dont la paternité relevait du plus complet anonymat, sa description précisant qu’il datait du XIXe siècle. Prestement retiré de la vacation londonienne, l’animal coule des jours que l’on souhaite heureux dans une discrétion dont il sortira un jour ou l’autre, avec sans doute une patine nouvelle, tandis qu’on le fera naître à une époque différente, probablement au XVIIe ou XVIIIe siècle...
L’anecdote, qui se répète régulièrement à quelques variantes près, est significative de la difficulté que nous avons à apprécier ces objets. Les premiers bronzes sont apparus dès le XVe siècle dans une Italie pétrie d’admiration à l’égard de l’Antiquité. Très vite, on note des confusions entre les œuvres modernes et celles – antiques – qui les ont plus ou moins directement inspirées. Tout y concourt. D’abord les artistes, qui surmoulent, copient, réduisent ou interprètent des œuvres anciennes, le plus souvent semble-t-il sans intention de tromperie. Les commanditaires ensuite, qui, à des œuvres originales, préfèrent celles évoquant l’Antiquité. Le passage du temps n’a fait qu’augmenter la part d’incertitude : les techniques de fabrication étant restées inchangées, il est hasardeux, à moins de posséder un élément de comparaison dont on soit sûr, de dater un bronze avec précision.
Si l’on exclut les œuvres monumentales, destinées à un cadre précis, les bronzes se subdivisent à partir de la Renaissance en deux grandes catégories: les médailles et plaquettes d’une part, les statuettes de l’autre.
Le goût de l’Antiquité
Décorées sur leurs deux faces, les médailles ont sans doute constitué les premiers bronzes artistiques des temps modernes ; les plaquettes s’en différencient par un décor qui n’apparaît que sur l’un des côtés. Toutes ont été tirées à un grand nombre d’exemplaires par des sculpteurs, des orfèvres ou des graveurs.
Rapidement sont apparures les statuettes, auxquelles on assimile divers objets mobiliers : encriers, heurtoirs de porte, coffrets, lampes... Les statuettes sont entrées dès l’origine dans la catégorie des objets de collection que l’on juge en eux-mêmes. Des critères tels que la qualité de la fonte, celle de la ciselure ou de la patine deviennent donc déterminants pour apprécier l’intérêt (et la valeur...) de ces objets. Pour les réaliser, les sculpteurs, on l’a vu, s’inspiraient de modèles antiques, non d’originaux grecs mais de leurs copies romaines.Et les graveurs ont joué ici un rôle primordial : leurs estampes – celles de Mantegna, par exemple –, largement diffusées, fournissaient à bon compte des modèles qui ont fini par s’interposer entre l’artiste et l’œuvre véritable dont il s’inspirait. À la faveur des différents courants d’échanges, de tels bronzes ont été fondus dans l’Europe entière. Symptomatiquement, les lieux où l’on en a créé le moins sont ceux où les œuvres antiques abondaient, comme Rome ou Naples, car le besoin s’y faisait moins sentir.
La constante référence au passé explique une iconographie qui ne se renouvellera que peu entre la Renaissance et le XVIIIe siècle : les artistes modernes se contenteront le plus souvent de répéter à satiété des sujets qui empruntent beaucoup à la mythologie ou à la fable. C’est là, pour l’amateur contemporain, une source de difficulté supplémentaire : l’appréciation de ces bronzes nécessite également une solide culture classique.
Séduisant tout autant que truffé de pièges, le domaine des bronzes exige une grande humilité de la part de l’amateur, qui n’en pénétrera les arcanes que lentement, au prix d’erreurs... Pour en éviter les embûches, il devra avoir soin de ne s’adresser qu’à de bons professionnels et de vérifier – autant que faire se peut – la provenance des objets qu’il convoite
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les incertitudes des bronzes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Les incertitudes des bronzes