Foire & Salon

Les foires promoteurs ou fossoyeurs des galeries ?

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 22 mai 2018 - 856 mots

Les galeries se vident alors que les collectionneurs se ruent sur les foires, dont Art Basel ce mois-ci. Une équation devenue de plus en plus complexe pour les marchands.

Le dernier rapport de l’économiste Clare McAndrew pour Art Basel et UBS sur le marché mondial de l’art souligne qu’en 2017 les fermetures de galeries l’ont emporté sur les ouvertures. On y apprend aussi que galeries et antiquaires ont réalisé 46 % de leur chiffre d’affaires dans les foires, un montant jamais atteint, en hausse de 17 % par rapport à 2016. Et que les frais inhérents à ces salons ont grimpé de 15 %. Ces données soulignent l’équation de plus en plus complexe que doivent résoudre les marchands d’art. Participer à une foire semble être devenu, pour nombre d’entre eux, une question de survie, car leur espace permanent se désertifie. Au point que certaines foires en prennent acte : pour la première fois, Frieze New York accepte les galeries nomades, sans lieu fixe. Et la Tefaf a nommé à la tête de la section antiquités le marchand Christophe de Quénetain, qui possède des bureaux à Londres et à Paris, mais pas de boutique.

Galeries nomades ou pas ?

Pour Aline Vidal, pionnière de l’itinérance depuis plusieurs années déjà, l’heure est grave. « Les foires mettent en péril les galeries, embarquées dans une descente aux enfers. Moi, j’ai changé ma façon de travailler parce que j’avais envie de retrouver du sens à ce que je faisais. Je n’ai pas étudié l’histoire de l’art pour me contenter de faire du commerce », explique-t-elle. La galeriste vient d’organiser une exposition sur l’île Saint-Louis, présentant douze artistes dans autant de lieux, parfois inattendus : fromagerie, librairie, cabinet d’avocat, église… « Cela m’a coûté aussi cher que de participer à une foire parce que j’ai produit beaucoup d’œuvres et que la logistique d’une telle opération est considérable. Mais je suis dans mon rôle en surprenant les collectionneurs, en allant à la rencontre de nouveaux amateurs, en permettant aux artistes de partager autrement leur travail », poursuit Aline Vidal. Seuls les solo shows organisés dans les foires trouvent grâce à ses yeux.

Pour Marc Spiegler, le patron d’Art Basel, on se trompe de cible. « Ce ne sont pas les foires qui vident les galeries. Le problème est que les collectionneurs n’ont plus le temps : ce ne sont plus des rentiers, mais des chefs d’entreprise contraints de voyager sans cesse. Les foires sont adaptées à leurs modes de vie et, sans elles, ces acheteurs n’iraient pas vers les galeries, mais vers les ventes aux enchères », estime-t-il, rappelant qu’à Art Basel Hong Kong, en mars, les exposants ont enregistré en moyenne 50 % de clients nouveaux. Il reconnaît néanmoins « la consolidation du marché par les mégagaleries et les grosses maisons de ventes », à laquelle « Art Basel doit être attentive ». Tout en relativisant le danger : « Sur nos trois éditions, nous accueillons pas moins de cinq cents galeries. Et quels que soient leur taille, leur niveau de marché, leur origine ou leur ancienneté, leurs chances sont égales parce que toutes accèdent aux mêmes VIP qu’une trentaine de mes collaborateurs font venir. »

Mais pas question pour lui d’accepter des marchands nomades. « Si nous mettons le doigt dans cet engrenage, alors nous contribuerons à ce que les galeries ferment pour de bon et ce sera au détriment des artistes. Car cela reviendra à mettre en concurrence des professionnels qui font l’effort de monter des expositions dans leurs espaces et les autres. Un mauvais signal alors que nous cherchons au contraire à stimuler l’écosystème, avec le travail mené sur les réseaux sociaux, à travers le livre publié chaque année pour faire connaître nos exposants, ou encore les Basel Cities, ces événements culturels visant à dynamiser les scènes locales dont le coup d’envoi a été donné à Buenos Aires », précise le dirigeant.

D’autres voies

Son homologue sur Art Paris Art Fair, Guillaume Piens, se montre très conscient des difficultés des galeries de taille intermédiaire, et se dit fier de leur offrir « cette foire tremplin, en dehors des autoroutes de l’art, valorisant notamment des galeries basées en région ou des scènes étrangères peu montrées, et attirant un public moins élitiste, plus large ». Il a fait réaliser des flyers sur chaque exposant, à disposition sur les stands, et insiste lui aussi sur les efforts menés sur le site de la foire pour renvoyer les amateurs vers les galeries au-delà de la foire.

Certains galeristes ont décidé, parallèlement aux foires, de s’associer pour se donner les moyens de rencontrer les collectionneurs autrement, montant leurs propres événements, au sein de leurs espaces comme la galerie Papillon à l’origine du Paris Gallery Week-end ou Polaris à l’initiative d’une Partie de campagne qui convie les acheteurs à une virée bucolique afin de créer des liens plus étroits avec eux. D’autres, comme Alain Margaron, préfèrent, plutôt que de participer à des salons, mener un travail de fond à l’année auprès des conservateurs et des collectionneurs, pariant sur des relations durablement établies pour faire entrer leurs artistes dans les musées. Une certitude : tous doivent déployer des trésors d’énergie pour échapper aux dégâts de la concentration et de la globalisation en marche du secteur.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Les foires promoteurs ou fossoyeurs des galeries ?

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