Salons d’antiquaires et foires d’art contemporain cherchent à innover en permanence pour faire la différence.
Les foires d’antiquaires et celles d’art contemporain n’obéissent pas au même régime biologique et ne souffrent du coup pas des mêmes maux. Peu nombreuses à un haut niveau, les premières pâtissent de la raréfaction et de transactions dilatées dans le temps. Campées sur l’illusion que l’art contemporain est extensible, les secondes se jettent à corps perdu dans une course aux changements pour éviter l’essoufflement.
Les déménagements impriment souvent une dynamique, comme le prouvent le succès du Salon du dessin installé l’an dernier à la Bourse et celui de la Foire des antiquaires de Bruxelles sise depuis deux éditions dans le site de Tour & Taxis, ou encore l’envol fulgurant de Palm Beach ! hébergée par le Palais des congrès local. En revanche, à Paris, le passage de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) du Grand Palais aux tentes du Quai Branly, puis à la Porte de Versailles, s’est davantage apparenté à un saut de Charybde en Scylla ! Reste à voir si le déplacement en octobre prochain d’Art Cologne vers le nouveau parc d’exposition de la ville aiguillonnera la plus ancienne des foires d’art contemporain.
Sectorisation
Dictés par la concurrence, les changements de calendrier participent de l’effet de nouveauté. La Foire des antiquaires de Bruxelles a ainsi avancé ses dates cette année pour éviter une collision avec Palm Beach ! et Tefaf Maastricht. Dans le duel qui opposera en octobre Frieze, Art Cologne et la FIAC, l’un des trois devra se résoudre à réviser ses dates. De son côté, Art Paris a basculé d’octobre à mars, pirouette qui lui permet de prendre ses distances avec la FIAC, de rallier quelques bonnes galeries et de prendre déjà un billet pour la réouverture du Grand Palais. Initiée en juin 2004, la Foire des antiquaires de Moscou modifiera pour sa deuxième édition à la fois ses dates (20-27 septembre) et ses pénates, en quittant le Palais Dolgoroukov pour le Manège. Ces bouleversements s’expliquent par l’attente d’une dérogation, prévue à l’automne, permettant de vendre sur place dans un lieu considéré comme sous douane.
Entre bûcher des vanités et grand Lunapark branchouille, Art Basel Miami Beach s’est fait une spécialité des « à-côtés », de la visite de la collection privée aux parties. Une course à la séduction motivée par la coquetterie croissante des collectionneurs, qui troquent leurs vacances pour des virées VIP sur les foires. Jusqu’où faut-il s’abaisser ou se disperser pour convaincre cette population capricieuse d’acheter de l’art ? « Avant, si on avait demandé aux gens s’ils iraient à Miami pour voir la même foire qu’à Bâle, ils auraient dit non, remarque Samuel Keller, directeur d’Art Basel. Les à-côtés étaient nécessaires pour faire venir les collectionneurs et leur faire aimer une ville. Maintenant, il faut voir quels sont les événements dont les gens ont besoin. Ils veulent apparemment des choses plus intimes, comme les Art Conversations. Même si les choses sont bonnes un temps, il faut savoir changer. » Déniant tout mercantilisme, les foires tentent de se donner un lustre culturel en ouvrant leurs portes à des collections privées ou muséales. « Il y a encore quelques années, la communication de Bâle aurait tourné autour des banques, maintenant c’est autour de la Suisse comme pays culturel », rappelle Samuel Keller. Certaines foires parrainent des prix, à l’instar du Prix BMW sur Paris Photo en novembre dernier ou de celui de Nicolas Feuillatte à la FIAC. Une bonne manière de rallier les sponsors et de donner un cachet artistique à une opération marketing.
La sectorisation est aussi une donnée dont les foires usent et abusent, dans un jeu d’abord sémantique. Ainsi, pour Art Cologne « New Art » a remplacé le précédent « Art Pole of the World ». « Cette nouvelle image sera modifiée et étendue dans le temps, dans la mesure où nous devons toujours réagir aux changements de marché, estime Gérard Goodrow, directeur d’Art Cologne. Cette année, par exemple, nous n’utilisons plus “New Art” mais plutôt “Art Now”. Qui sait ce qu’il en sera en 2006 ? Le fait que nous changions le nom de nos événements ne change en rien à leur contenu. “Förderkünstler” est devenu “New Talents” et “Fördergalerien” est devenu “New Galeries”. Nous ne voulions pas tromper le public en lui faisant croire que nous avions restructuré ces programmes. Mais nous avions plutôt l’intention de les rendre compréhensibles pour une audience internationale qui ne comprend pas forcément l’allemand. » Les découpes qu’affectionne de son côté la foire madrilène de l’ARCO manquent parfois de pertinence et sont source de confusion. Il est difficile de faire la part des choses entre les « Project Rooms » et les « New Territories », pas plus que dans la succession de stands dédiés aux nombreux pays invités. « On souhaite qu’il y ait plusieurs courants de pensée, une circulation des idées. Nous voulons être à la fois dans la culture, la théorie et le marché », défend Rosina Gomez-Baeza, directrice de l’ARCO. Après avoir lancé de nombreuses plates-formes, Art Basel a compris qu’il valait mieux en absorber quelques-unes dans le cœur de la foire, comme ce fut le cas avec la section photo. Pour éviter l’écheveau des espaces dédiés aux jeunes galeries (« Art Nova », « Art Positions », « Statements »), Samuel Keller a choisi de supprimer en décembre prochain « Statements » du programme d’Art Basel Miami Beach. Dans la foulée, l’organisation s’apprête à regrouper en un même lieu les « Art Positions », le « Video Lounge » et le « Sound Lounge ». Elle lancera enfin l’idée des « Out Cabinets », pour permettre aux galeries de consacrer un quart de leurs stands à un projet curatorial, une pièce unique ou un cabinet de dessins. « Je suis contre la sous-sectorisation illisible, insiste de son côté Jennifer Flay, directrice artistique de la FIAC. On a créé l’an dernier le secteur design sur des bases rationnelles en fonction de l’état du marché. »
Éloge de la nouveauté
Pourtant, malgré les arguties dans la formulation, la différence entre « Perspectives » et « Future Quake » reposait en 2004 plus sur les tarifs (3 595 euros HT pour un module de 20 m2 sur « Future Quake », 5 510 euros HT pour un espace de 30 m2 sur « Perspectives ») que sur le concept. Les considérations financières président souvent à la création de secteurs comme « Art Nova » sur Art Basel Miami Beach. L’idée est de capter les jeunes galeries talentueuses mais désargentées pour éviter qu’elles ne soient happées par les foires off. Car la bonne santé des foires passe par leur capacité d’anticipation des talents. Les analyses financières conduisent aussi parfois à biffer des secteurs, comme ce fut le cas avec « Video Cube », supprimé l’an dernier du programme de la FIAC et qui réapparaîtra sous l’appellation « Nouveaux Médias » en octobre.
Les changements de terminologie tendent d’ailleurs à faire du neuf avec du vieux. L’ARCO est aussi coutumière des cures de jouvence sémantiques, la section « Cutting Edge » de 2003 ayant été rebaptisée « Up & Coming » en 2004, puis « New Territories » cette année. « Nous sommes dans l’éloge de la nouveauté, convient Rosina Gomez-Baeza. L’effet de surprise est très important. » Mais les foires tendent à oublier que le plus important, c’est avant tout la sélection des exposants.
Doit-on changer une formule gagnante comme celle d’Art Basel ? « Chaque année, on regarde ce qu’on peut améliorer dans l’infrastructure et les services. On est en dialogue permanent avec les exposants. Il n’y a pas de méthode qu’on puisse inventer dans un service “relations publiques”? », précise Samuel Keller, son directeur. La journée professionnelle lancée en 2004 le dernier lundi de la foire sera déplacée en juin au vendredi. L’aménagement général sera aussi modifié, un tiers des galeries étant replacées pour améliorer la circulation. Seule innovation d’ordre conceptuel, la section « Art Unlimited » s’ouvre aux livres d’artistes avec la présentation « Artists Books », grand écart entre le macro (art monumental) et le micro (art intimiste). « Les œuvres des artistes connus sont devenues très chères et les livres d’artistes sont un domaine de collection. La qualité ne repose pas que sur des prix ou des pièces pour musées », remarque Samuel Keller. Étrangement, Art Basel communique de plus en plus autour d’œuvres à prix raisonnables. En 2003, elle avait lancé le système des pastilles jaunes pour les pièces à moins de 5 000 euros, signe que tout client est bon à prendre. Tout en surfant sur le boom de l’art contemporain et de ses prix XXL, la foire n’ignore pas que toute folie a ses retours de flamme. Et qu’en misant uniquement sur les stars du marché, elle risque de s’aliéner les collectionneurs de demain.
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Les foires misent sur la nouveauté
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Abonnez-vous dès 1 €Art Cologne (Cologne) Création : 1968. Nombre de visiteurs en 2004 : 70 000. Coût des stands : 175 euros HT le m2 Art Basel (Bâle) Création : 1969. Nombre de visiteurs en 2004 : 52 000. Coût des stands : 286 euros HT le m2 dans le secteur général. Coût « Art Unlimited » : 8 800 francs suisses HT (5 700 euros) FIAC (Paris) Création : 1973. Nombre de visiteurs en 2004 : 81 700. Coût des stands : 240 euros HT le m2 dans le secteur général ARCO (Madrid) Création : 1982. Nombre de visiteurs en 2005 : 180 000. Coût des stands : 172 euros HT le m2 The Armory Show (New York) Création : 1999. Nombre de visiteurs en 2004 : 38 000. Coût des stands : de 7 950 dollars HT pour 13 m2 (465 euros le m2) à 28 500 dollars HT pour 51,3 m2 (420 euros le m2). Art Paris (Paris) Création : 1999. Nombre de visiteurs en 2004 : 30 000. Coût des stands : 247 euros HT le m2 Art Basel Miami Beach (États-Unis) Création : 2002. Nombre de visiteurs en 2004 : 33 000. Coût des stands : 338 euros HT le m2 dans le secteur général Frieze (Londres) Création : 2003. Nombre de visiteurs en 2004 : 42 000. Coût des stands : de 4 800 livres sterling HT pour 24 m2 à 24 000 livres sterling HT pour 120 m2 (290 euros le m2)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Les foires misent sur la nouveauté