Les affiches à slogan créées dans l’effervescence de l’ambiance insurrectionnelle de mai 68 sont aujourd’hui recherchées par les collectionneurs.
A l’heure des 40 ans de Mai 68, plusieurs ventes aux enchères commémoratives mettent sur le devant de la scène des affiches créées pendant ces deux mois qui ébranlèrent le pouvoir gaulliste et la société française de la Ve République.
La société au ban
Le 8 mai, l’École des beaux-arts de Paris est en grève. Le 14 mai, un groupe d’élèves et d’intervenants extérieurs occupe l’atelier de lithographie et tire la première affiche : « Usine Université Union ». Ce slogan résume l’ambition des insurgés : les étudiants et les ouvriers doivent lutter ensemble contre le système capitaliste.
Des centaines d’affiches seront ainsi conçues. Il s’agit de coller à l’actualité et d’avoir une charge critique efficace pour mobiliser l’opinion. Pour faire vite et frapper fort, ces affiches présentent une image simplifiée, utilisant la plupart du temps une seule couleur, et accompagnée d’un slogan percutant. Le rejet du gaullisme et du général de Gaulle, au pouvoir depuis dix ans, fut l’un des grands thèmes d’affichage de Mai 68. Souvent caricaturé en dictateur, le chef d’État est représenté en CRS, en Hitler faisant le salut fasciste… La contestation étudiante, la lutte contre la répression policière, l’anticapitalisme, la France en grève, la dénonciation policière, la méfiance envers le parlementarisme et les élections, les médias et la censure, l’impérialisme et la dictature, les problèmes de société sont autant de sujets traités par l’affiche avec la même force radicale.
Litho, sérigraphie ou offset ?
Ces affiches ont été réalisées selon trois techniques. La lithographie, utilisant les presses à bras en usage aux Beaux-Arts, a donné lieu à des tirages restreints d’affiches. Les lithographies sont particulièrement recherchées pour leur rareté. Plus facile et plus rapide, la sérigraphie permet de tirer environ soixante épreuves à l’heure par presse. Possédant trois ou quatre presses en fonctionnement continu, l’atelier populaire des Beaux-Arts a pu en produire jusqu’à un millier par 24 heures.
Enfin, l’impression offset, la plus économique, est réservée à la diffusion d’un grand nombre d’affiches dans un format plus réduit. Le support était soit du papier journal récupéré par les grévistes de la presse, soit du papier-boucherie acheté par rames.
Questions à...
Les affiches de Mai 68 sont-elles des affiches de collection ?
Tout type d’affiche qui possède une qualité artistique, qui illustre un thème de société et qui est le témoin d’une époque comme celles de Mai 68, est une affiche de collection.
Quelle est la spécificité des affiches placardées en mai 68 ?
Ces affiches ne reposent pas sur la notoriété des artistes. D’ailleurs, très peu d’artistes en ont véritablement réalisé. Et, quand c’est le cas, elles sont rarement signées. Notons quelques exemples par Pierre Alechinsky, Jean Hélion, Calder ou encore Zao Wou-Ki dans ma vente du 5 avril dernier. Les affiches de Mai 68 sont avant tout issues d’une création collective spontanée, collant à l’événement.
Sait-on combien d’affiches différentes ont été diffusées ?
Il y en aurait eu plus de 500 créées et distribuées entre le 14 mai et le 27 juin, date à laquelle la police évacue par la force les occupants de l’ex-École des beaux-arts.
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Les affiches de Mai 68 tiennent le haut du pavé
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Abonnez-vous dès 1 €1 - Pop art et impérialisme
Pendant que la révolution de Mai 68 se met en route, certains graphistes rejoignent la contestation. Cette image réalisée par Roman Cieslewisz, l’un des initiateurs de l’école polonaise de l’affiche, a fait la couverture du magazine Opus International, lancé en 1968. Elle établit un lien entre l’Europe de l’Est et les États-Unis,
alors en pleine période de guerre froide, en montrant les deux superpuissances (URSS/ USA) en superman. Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Cracovie, Cieslewisz s’installe à Paris en 1963 et obtient la nationalité française en 1971. Cette affiche s’est vendue 3 700 euros, lors
de la dispersion de l’atelier de Cieslewisz, à Drouot le 19 mars 2006
(maison de ventes Calmels-Cohen).
CCCP USA, Roman Cieslewisz,
affiche offset, février 1968, 82 x 55 cm.
Estimée 300 euros, vente du 16 mai 2008 à Drouot, Paris, maison de ventes Collin du Bocage.
2 - Sus au général De Gaulle
La « chienlit », mot familier désignant le désordre public, est entrée dans l’histoire grâce au général De Gaulle. « La réforme, oui ; la chienlit, non ! » Ces mots auraient été prononcés par le chef d’État le 19 mai 1968 en privé et répétés à la presse par le ministre de l’Information Georges Gorse. Ils seront dits publiquement le 24 mai, lors d’une allocution télévisée, annonçant la décision du chef de l’État de procéder à un référendum sur la participation.
Il n’en faut pas plus pour faire réagir les manifestants. Dès le 19 mai, ils créent des affiches où apparaît la silhouette du général De Gaulle accompagnés du slogan « La chienlit, c’est lui ! ». Cette toute première affiche est une rare lithographie à tirage limité. D’autres affiches (en sérigraphie puis en offset) suivront, reprenant la silhouette de De Gaulle en couleur sur fond blanc. Une série éditée en juin 1968 reprendra le slogan : « La chienlit, c’est encore lui ! »
La chienlit, c’est lui !, 19 mai 1968, lithographie, sépia sur fond blanc, 37 x 29 cm, premier tirage, limité. Entoilée.
Adjugée 1 300 euros, le 5 avril 2008, Paris, maison de ventes Camard.
L’icône Cohn-Bendit
Étudiant juif allemand, Daniel Cohn-Bendit, célèbre
porte-parole et leader de la révolte de Mai 68, est menacé d’expulsion de l’université de Nanterre, ce qui provoque l’occupation des lieux. Il sera interdit de séjour en France
par un arrêté d’expulsion du 25 mai 1968 (abrogé en 1978). Il reviendra clandestinement le 28 mai. Il est déjà un symbole de la révolution « soixante-huitarde ». Cette toute première affiche montrant l’image de Cohn-Bendit est très rare. Elle a été créée par Bernard Rancillac, membre fondateur de la Figuration narrative, et l’un des rares artistes à avoir réalisé une affiche pour les événements de 1968. Elle fut immédiatement refusée par l’Atelier populaire et ne fut jamais diffusée. On lui préférera le slogan : « Nous sommes tous indésirables ». Cette version définitive du 22 juin mettra tout le monde d’accord sur le message politique à retenir.
Nous sommes tous des Juifs et des Allemands, Bernard Rancillac, Atelier populaire, 21-22 juin 1968, sérigraphie noir sur papier blanc, 64 x 38,5 cm. Entoilée.
Adjugée 2 700 e, le 5 avril 2008, Paris, maison de ventes Camard.
Jets de pavés
Cette affiche représente la figure allégorique de la beauté incarnée par une jeune femme lançant un pavé. Le message est clair : mêmes les femmes prennent part à la révolution 68, descendent dans la rue et lancent des pavés. Les femmes sont très rarement montrées au premier plan dans les manifestations, et il faudra attendre encore quelques années pour qu’elles revendiquent leur libération. Sous les pieds de la femme, est représentée une grille qui fait référence aux grillages entourant les arbres des trottoirs. À l’époque des violents soulèvements de rue, ces grilles étaient démontées pour être jetées sur les forces de l’ordre.
Proposée parmi 350 affiches sur Mai 68, cette image anonyme, au superbe graphisme et peu courante, a atteint la plus haute enchère (3 900 euros) de la vente du 5 avril à Drouot (maison de ventes Camard).
La beauté est dans la rue, sérigraphie en rouge sur fond beige, tampon « Montpellier » 1924, 68 x 50 cm. Entoilée.
Estimée 300 euros, vente du 23 avril 2008, Paris, Artcurial.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°602 du 1 mai 2008, avec le titre suivant : Les affiches de Mai 68 tiennent le haut du pavé