L’artiste américain, Peter Halley, poursuit son œuvre d’abstraction géométrique, évoquant l’organisation de l’espace social et l’architecture de la ville moderne.
Paris. Ce qu’il y a d’étonnant dans les expositions de Peter Halley, c’est que l’on a l’impression que chacune d’entre elles est la même que la précédente, alors que pas du tout. Il suffit de les regarder avec attention et de les comparer pour se rendre compte que l’artiste – né en 1953, à New York où il vit – a une grande capacité à se renouveler et ce d’autant plus qu’il part d’une grille conceptuelle plutôt stricte et contraignante. Il a ainsi cette faculté de rester fidèle à son canevas de départ, fondation et architecture de toute sa démarche, et de le transgresser, de le faire évoluer tout en restant toujours dans ses clous. La preuve en est d’ailleurs donnée avec cette nouvelle série d’œuvres, réunies sous l’intitulé « Constructor Paintings », pour lesquelles Halley fait exploser le cadre habituellement rectangulaire de ses œuvres pour des compositions toujours très géométriques, mais moins « carrées » que d’habitude et privilégie des puzzles, des damiers plus acrobatiques mais bien dans son registre.
Chez Halley, le mot grille précité est d’ailleurs à prendre dans tous les sens du terme puisqu’il recouvre aussi bien la mise en place d’un principe théorique qu’un langage, une écriture ou les barreaux d’une fenêtre, voire d’une prison. Il ne faut jamais oublier que l’apparente abstraction géométrique de Peter Halley n’est qu’un outil pour aborder les thèmes de la perspective, de l’architecture, de l’urbanisme, de l’agencement, de l’enfermement, et que les angles et figures qu’il utilise sont mimétiques de la ville moderne. Lors de l’une de ses précédentes expositions, il nous avait précisé que l’artiste le plus important pour lui n’était pas un abstrait, mais Andy Warhol (!), voire Donald Judd. Et qu’à la limite, s’il se sentait plus proche des Américains Barnett Newman ou Frank Stella que de Kasimir Malevitch ou Piet Mondrian, il n’aimait pas pour autant « l’art abstrait formel, hermétique, ne se référant qu’à lui-même ». Il précisait même : « Mon travail a toujours été une sorte de critique ou de remise en question de cette forme d’art. »
Depuis ses débuts, il préfère en effet se référer à la cartographie urbaine, réfléchir à la façon dont l’espace est construit en termes de pouvoir social, à ce que cela signifie sur un plan politique. Grand lecteur, dès les années 1970, des « théoriciens français » – ainsi que les New-Yorkais les appelaient –, Jean Baudrillard et Michel Foucault, Halley a, par exemple, retenu de ce dernier sa réflexion sur la façon dont l’espace est contrôlé par différentes formes, notamment dans son livre sur les prisons. L’artiste s’est vite rendu compte qu’en prenant un carré et en y plaçant des barreaux, cela donnait une fenêtre… et même une fenêtre de cellule. Et que la forme géométrique devenait un diagramme de prison.
« Je suis une sorte de réaliste dans une société abstraite », dit Halley dont les références à l’architecture vont jusqu’à l’utilisation d’un crépi (du Roll-a-Tex), teinté de couleurs fluo flashy pour donner davantage de textures, de « physicalité » à ses toiles et piquer plus encore le regard et la conscience du spectateur. Une autre façon de jouer sur les reliefs – qu’on peut presque lire comme des façades – et les espaces, aussi bien celui des tableaux eux-mêmes que celui dans lequel ils s’inscrivent. Il n’y en a d’ailleurs que six ici, mais il n’y en a pas besoin de plus tant ils sont imposants, forts et occupent admirablement l’étage de la galerie.
Entre 120 000 et 150 000 euros, le prix des œuvres présentées est loin d’être excessif pour l’un des artistes les plus importants de sa génération, présent dans de nombreuses collections publiques comme privées, qui a bénéficié d’expositions dans de grandes institutions et qui a influencé et influence encore aujourd’hui beaucoup d’artistes. La raison : Halley a toujours maîtrisé sa production et son marché, avec une grande aversion pour la spéculation.
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Le noyau de Halley
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : Le noyau de Halley