Après soixante-dix ans d’un statut pratiquement illégal, le marché de l’art russe va pouvoir enfin se structurer, grâce à la création d’une association des antiquaires. La délivrance d’un certificat devrait éviter l’exportation d’art russe à l’étranger.
MOSCOU - Une nouvelle association, inscrite au registre du ministère de la Justice de la Fédération de Russie, porte le nom d’Union des antiquaires russes. Alpha-Art, l’une des plus importantes sociétés de commerce d’art et d’antiquités et de ventes aux enchères du pays, a pris, après une année de préparation, l’initiative de cette création. Le professeur Valeri Matvéeiev, collectionneur et membre de l’Académie des sciences, a été nommé président du conseil d’administration. L’adhésion à l’Union des antiquaires se fera à titre individuel ou au nom d’une société, à condition d’avoir une activité en rapport avec l’art ou les antiquités.
Depuis trois ans, Alpha-Art s’est imposée à Moscou comme la première salle de vente de Russie. Cette société opère comme celles de l’Europe de l’Ouest : elle propose des expertises d’objets, publie des catalogues illustrés et, deux semaines avant leur mise en vente, expose les objets dont elle assure la dispersion.
À l’heure qu’il est, le marché russe de l’art et des antiquités a su définir les caractéristiques qui lui sont propres. En se fondant sur l’expérience acquise par les spécialistes d’Alpha-Art et sur leurs observations, Maxime Bokser, spécialiste des ventes aux enchères, a fait le constat suivant : 60 % des ventes se font à Moscou, 30 % à Saint-Pétersbourg et 10 % dans les autres villes de la Fédération de Russie. À Moscou, quatre salles organisent des ventes, Alpha-Art étant la seule à proposer des ventes chaque mois. On dénombre une cinquantaine de boutiques et de galeries, dont une dizaine garantissent l’authenticité de ce qu’elles vendent. Il existe aussi entre trente et cinquante organisations qui se sont spécialisées dans l’acquisition de pièces de collection et se font assister par des experts.
Actuellement, les prix de l’art se fixent souvent en se fondant sur les disponibilités financières de l’acheteur. Il arrive toutefois que l’on se réfère à des ventes antérieures pour établir une cote. L’essentiel de ce que l’on trouve sur le marché est de l’art russe du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Quant au volume des ventes, ce sont les arts appliqués qui occupent la première place, suivis par la peinture et les arts graphiques. Les prix sont alignés sur ceux du marché international, et parfois supérieurs quand il s’agit d’œuvres de l’Avant-garde russe. Les objets d’origine occidentale de bonne qualité n’apparaissent presque jamais sur le marché officiel : selon les spécialistes, cela est sans doute dû au fait qu’ils s’y vendraient moins cher qu’à l’Ouest. Il est aussi trop risqué de mettre en vente ouvertement du "butin de guerre".
Les acheteurs d’art russe se répartissent comme suit : 30 % d’entre eux sont des marchands qui font des acquisitions sur commande, 30 % représentent des galeries ou des boutiques, 30 % sont des collectionneurs, particuliers ou représentants d’une société, et 10 % opèrent pour le compte des musées.
La situation est en train de changer. Aux yeux de nombreux Russes, il y a trois ans seulement, les achats d’œuvres d’art étaient un moyen de s’enrichir, mais investir est devenu moins profitable. Beaucoup préfèrent risquer leur argent dans une banque, un cabinet de gestion de patrimoine ou toute autre société financière qui leur promet un bénéfice de plus de 500 % par an. Les acquisitions sérieuses d’œuvres d’art sont faites, pour le moment, par des spécialistes ou des sociétés qui entendent acquérir ainsi une certaine image de marque.
Une nouvelle législation
La mise en application, en janvier prochain, de deux nouveaux articles de loi destinés à régulariser les transactions, va encore compliquer la situation. Ces articles concernent toutes les œuvres créées depuis cinquante ans. Ces dispositions ne permettront d’en faire commerce qu’après avoir obtenu un certificat auprès de l’Agence fédérale pour la conservation des biens culturels, qui vient d’être créée. Ce document sera valable pour une durée de trois ans.
Les galeristes et autres marchands d’art devront laisser le temps aux musées d’État, aux archives et aux bibliothèques d’acquérir les objets qui passent entre leurs mains, avant de les mettre sur le marché. Étant donné le manque de moyens des institutions d’État, cette réglementation ne peut qu’effrayer les antiquaires, qui devront communiquer au ministère de l’Intérieur la liste des objets mis en vente. Quel que soit le désir de l’État d’assainir le marché et de réduire la fuite à l’étranger des œuvres d’art, les spécialistes estiment qu’à long terme, les mesures prises apparaîtront comme peu adaptées, et qu’elles pourraient inciter certains marchands à avoir de nouveau recours au marché parallèle.
L’Union des antiquaires va participer à la création d’un Institut professionnel d’experts. L’un des premiers objectifs de l’Union a été l’organisation d’une Foire de l’art et des antiquités russes, qui aura lieu à Moscou en février 1995.
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Le marché de l’art se structure
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Le marché de l’art se structure